Vers une université du partage des savoirs de tous, par tous et pour tous

Invitée au colloque « Vers une politique des mondes (1) » , qui s’est tenu du 1er au 7 juin 2022 à Cerisy-la-Salle (50210), Patricia Pol y a animé un atelier permettant de poursuivre les réflexions menées avec Pierre Bitoun et plusieurs membres de l’IDST autour d’une société du partage des savoirs de tous, par tous et pour tous. Nous publions ses propos qui ont servi de point de départ à des discussions riches et animées menées dans la Laiterie de l’ancienne ferme du château, un lieu tout à fait propice pour penser une université révolutionnaire et sortir du capitalisme productiviste !

La Rédaction du blog

Pour commencer, je vais dire quelques mots destinés à préciser de « quels mondes » je viens et vous rappeler aussi que, dans le cadre de ce colloque, j’ai choisi de parler surtout à partir de mes expériences militantes.

Tout d’abord, celle de militante de la coopération internationale universitaire. Lorsque, en lutte contre les firmes multinationales dans les années 80, je décidai de quitter le monde des entreprises pour l’institution universitaire, je pensais avoir fait le choix d’un contre-modèle. Contre-modèle de l’entreprise capitaliste d’abord, et j’imaginais alors aller travailler dans une « anarchie organisée », pour reprendre certaines analyses des années 70 sur les universités américaines (2). Contre-modèle, également, du processus de compétition des marchés cher aux néo-libéraux qui prônent la coopération dans la compétition pour gagner en compétitivité, et dont je n’aurais jamais imaginé (naïvement à l’époque), que nos ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche en arriveraient 15 ans plus tard à vanter ce concept de coopération internationale dans la compétition mondialisée des universités (3). Puis, arrivant à l’université en même temps que le programme ERASMUS à la fin des années 80, je me suis peu à peu impliquée dans la mise en place des politiques internationales de l’université Paris 12 Val-de-Marne. Pour cette université, faisant alors partie des dix universités les plus pauvres de France, je pensais que « l’international » serait un moyen de la maintenir dans ses principales fonctions d’enseignement et de recherche, car on voyait déjà venir la fragmentation extrême du système universitaire (4). Enfin, au cœur du pouvoir ministériel et de l’administration centrale, autour des questions européennes et internationales, j’ai en particulier été chargée d’organiser la 10ème Conférence ministérielle du processus de Bologne qui devait se tenir à Paris en mai 2018, soit 20 ans après la déclaration de la Sorbonne (5), mais surtout dans mon esprit, 50 ans après mai 68. Je pensais encore qu’une bifurcation serait possible pour stopper l’orientation néolibérale de ce processus !

Comprenant enfin qu’on ne pouvait changer le système de l’intérieur, je décidai de quitter à jamais le pouvoir universitaire en 2017. Je pus alors retrouver du temps pour militer sur le terrain politique de l’altermondialisme. Je proposai alors aux députés de la France insoumise en charge de l’éducation d’organiser un contre-sommet à cette énième conférence néolibérale du processus de Bologne. Sabine Rubin reçut avec joie cette proposition. En étroite collaboration avec l’équipe d’animation du livret Enseignement supérieur et recherche (ESR) de l’Avenir en commun, elle organisa à l’Assemblée nationale une journée de débats intitulée « Pour une université européenne insoumise ». À la suite de cette journée réunissant plus de 150 personnes venant de France, d’Europe et d’Amérique latine, nous avons co-fondé avec Pierre Bitoun (6) l’Internationale des Savoirs pour Tous (7) (IDST). Un peu sur les traces de la Via Campesina, nous voulions créer une « Via Universitaria (8) ». Ce réseau de 350 membres issus de plus de 30 pays vise un triple objectif : 1) critiquer dans chaque pays et partout le contenu et la mise en œuvre des politiques néolibérales, 2) fédérer et dynamiser les luttes, locales, nationales et internationales en cours ou à venir 3) démontrer que des propositions et programmes alternatifs au « tout-marché » de l’ESR sont d’ores et déjà prêts ou en voie d’élaboration. Nous y reviendrons.

Il ne s’agit pas ici de faire l’énième critique des politiques néolibérales dans l’ESR, et plus largement dans l’Éducation, critique à laquelle nous avons procédé régulièrement sur le blog de l’IDST et qui fait l’objet d’innombrables combats, livres, articles, rencontres, etc., pour dénoncer « l’université en ruine » (9), « la destruction de l’université (10) », « l’université en miettes (11) » ou bien encore le féodalisme de « l’homo academicus » si cher à Bourdieu…

Il s’agit dans cet atelier de se tourner vers l’avenir, vers le dépassement de ces politiques néolibérales, vers ce que pourrait être une université révolutionnaire ou une université capable de contribuer à la révolution des institutions, vers ce que nous avons appelé et mis en intitulé de cet atelier : « Une université du partage des savoirs de tous, par tous et pour tous ». Nous avions déjà réfléchi à l’IDST, en particulier avec Pierre Bitoun lors des premières rencontres à Marseille en 2019, à ce que pourrait être « une société du partage des savoirs de tous, par tous et pour tous ». Aussi je vous propose de lancer la discussion de cet après-midi en centrant mon propos autour de quelques valeurs cardinales et principes d’organisation qui permettent de mieux définir les idéaux de cette université du partage des savoirs. Je citerai six valeurs cardinales qui doivent, à mon avis, nous servir de boussole pour définir les contours de cette nouvelle institution que nous voulons loin de l’académisme féodal antérieur et loin de l’excellence néolibérale mondialisée d’ici et maintenant… Une sorte de révolution scolaire à venir pour reprendre le titre du livre de Christian Laval et Francis Vergne (12).

Premier principe que je résumerai dans une formule propice à la réflexion menée dans le cadre de Cerisy : « aller au-delà des murs (et donc des frontières) »

Imaginer, construire la future université du partage des savoirs, c’est en effet forcément se projeter, viser un au-delà des divisions de toutes sortes existant dans notre société, réelles ou intériorisées, qui régissent notre présent : division entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui n’ont que leur force de travail, entre riches et pauvres, entre intellectuels et manuels, entre « sachants » et « non sachants », entre les étudiants qui sortent des universités du top 100 de Shanghaï ou des grandes écoles et les 99% autres, entre ceux qui ont eu la chance, génération après génération, d’accéder à l’école, l’enseignement et ceux qui n’y ont pas eu encore accès et ne savent ni lire ni écrire (environ 800 millions à travers le monde).

La tâche est donc immense, de longue histoire, mais elle repose en fait sur un idéal assez simple à formuler. Chaque être humain est porteur d’idées et d’expériences, de savoir-penser et de savoir-faire, qui composent sa richesse, sa culture propre et constituent en même temps une parcelle de la richesse et de la culture collectives. Savoir, partager les savoirs, c’est donc, dans un même mouvement, cultiver sa richesse intérieure, développer son sens critique, et « faire société ». Et plus cela vient de tous et va vers tous, plus ces différents éléments ont de la chance de s’épanouir, de se renforcer mutuellement, pour le bien de chacun et le bien commun de tous.

Avancer vers la société et l’université du partage des savoirs, ce n’est donc ni dénier les inégalités naturelles ou sociales, ni répéter les expériences mortifères de la rééducation des intellectuels par l’avant-garde du prolétariat soviétique ou de la paysannerie maoïste, ni apporter « la culture au peuple » comme on disait jadis d’une façon assez condescendante dans certains milieux de l’éducation populaire, ni encore bien sûr se leurrer sur la fameuse « économie de la connaissance » chère aux néolibéraux, expression dont on a volontairement omis le terme capitaliste pour mieux en tirer le maximum de profit.

Créer l’université du partage des savoirs, c’est simplement chercher à défaire, abattre tous les murs qui nous séparent et nous opposent : mur de l’intellectuel prisonnier du concept « génial » qu’il vient de créer, mur de l’anti-intellectuel primaire qui votera Front National, mur entre ceux qui sont trop fiers de leur diplôme et ceux qui ont trop honte de ne pas en avoir, mur de l’Université ou de la Recherche bien trop séparés de la société alors qu’elles devraient être le lieu d’une agora de la connaissance de tous, par tous et pour tous. Bref, ce que nous visons c’est le partage des savoirs le plus large possible, divers, pluriel, égalitaire, émancipateur, sans autre finalité que le partage lui-même. Il est, je crois, indissociable du passage à une société post-capitaliste et il en accompagnera l’essor.

Il est frappant de constater combien cet « au-delà des murs et des frontières » monte aussi de la société elle-même. Que ce soit au niveau de certains universitaires liés à l’IDST, en France des jeunes diplômés « déserteurs » de l’Agro-Paritech ou de Polytechnique, ou des chantiers « pluri-versités », ateliers de « reprise du savoir » lancés pour cet été 2022 par le mouvement des Soulèvements de la Terre qui constituent une manière originale de lutter contre « l’éclipse du savoir » que décrit de manière remarquable Lindsay Waters (13), ou de la désobéissance académique proposée par le collectif anglais « Rébellion scientifique ». Ou bien encore dans le cadre du Forum Mondial Social, le Forum Mondial Sciences et Démocratie dont la session virtuelle en 2021 co-organisée par l’IDST, avait abouti à l’idée de lancer une « Pluriversité » à l’image de ce que les camarades tzeltals réalisent dans la jungle Lacandona ou les zapatistes avec UniTierra (14) et le mois dernier, à Mexico, autour de l’Université del buen vivir. D’autres exemples sont illustrés sur le blog de l’IDST.

Deuxième principe : la gratuité

En lieu et place de la loi de l’argent et du profit de quelques multinationales – les GAFAM notamment – qui envahissent l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, la société du partage des savoirs affirme, repose sur le fait que la gratuité doit devenir la règle. Ce qui se décline, au moins, de deux façons.

D’abord, du plus jeune âge jusqu’à la fin de la vie, l’accès à l’éducation, l’enseignement, la formation doit être ouvert à toutes et tous. D’où, par exemple, la suppression des frais d’inscription à l’université (on voit d’ailleurs que c’est une des grandes thématiques des luttes à travers le monde), l’instauration d’un salaire étudiant, et à chaque étape de la vie quand chacun le souhaite, des formations gratuites et rémunérées. Ensuite, les découvertes, les produits de la recherche ne doivent plus être appropriables, brevetables, mais doivent relever d’un droit d’usage collectif, démocratiquement décidé. Ce qui veut dire, forcément, une forte augmentation des budgets publics de l’Éducation, de l’ESR, de la Formation et, pour les produits de recherche émanant d’entreprises privées, la disparition du profit sur ces produits. Profits, soit dit en passant, que nous payons aujourd’hui très chers en tant que contribuable, consommateur ou assuré social via, par exemple, nos médicaments ou tous les appareils qui nous entourent sur notre lit d’hôpital.

Troisième principe : la liberté

Contre toutes les féodalités privées, publiques ou publico-privées qui gouvernent aujourd’hui l’économie de la connaissance néolibérale, contre toutes les servitudes, volontaires ou obligées, qui ont aujourd’hui cours dans l’Éducation, l’ESR et bien d’autres secteurs, le partage des savoirs affirme, repose sur la plus grande liberté donnée aux enseignants, chercheurs et, plus largement, à tout citoyen ou habitant. Ce qui, là encore, peut, doit se décliner de différentes façons.

Liberté de ne plus être soumis à la tyrannie de l’excellence et de sa novlangue, aux bureaucrates du marché de l’ESR et à leurs appels d’offres, mais de se voir garantir, grâce à des budgets publics pérennes et des emplois stables, la liberté d’expression et de choix dans la transmission des connaissances ou les recherches à envisager, une liberté inconditionnelle « de questionnement et de proposition, voire plus encore, le droit de dire publiquement tout ce qu’exige une recherche, un savoir, une pensée de la vérité » (15). Liberté de sortir de l’ultra spécialisation, de la quantification à outrance, de la fragmentation disciplinaire pour envisager la connaissance comme un tout social et pouvoir aussi enseigner, rechercher ce qui est réputé aujourd’hui « inutile » mais ne le sera peut-être pas plus tard tant les hétérodoxes d’un jour sont souvent les découvreurs de demain. Liberté, enfin, dans l’ensemble de la société, pour chacun d’entre nous d’avoir du temps et des moyens pour changer de métier, devenir un autodidacte ou simplement se cultiver. Bref, dé-professionnaliser l’accès et le contenu des savoirs, comme il faut dé-professionnaliser la politique.

Quatrième principe : penser et décider des limites au Progrès

Depuis la bombe atomique jusqu’au dérèglement climatique, en passant par les accidents ou les déchets du nucléaire civil, la PMA, les TIC, la robotisation, les nanotechnologies ou les délires transhumanistes, nous sommes désormais entrés dans un nouvel âge de l’histoire de l’humanité où le Dieu Progrès, la Déesse Modernité sont mis en doute. Pas suffisamment encore, mais la conscience en est en tout cas montante et de plus en plus partagée. Certains, il est vrai, croient encore que la science, la technique sont neutres, porteuses du pire ou du meilleur, relevant du regard et de la décision d’experts ou de contre-experts, majoritairement au service de l’État et des multinationales, ou parfois missionnés pour éclairer quelques citoyens dont le tirage au sort n’empêche pas l’instrumentalisation.

La société, l’université du partage des savoirs se situent bien au-delà de ces croyances, de ces leurres positivistes et des confiscations de la démocratie qui les accompagnent. Elle affirme, sans refuser le progrès ou s’enfermer dans le fallacieux dilemme « le progrès ou le retour à la lampe à huile », qu’il est urgent de sortir du capitalisme productiviste illimité et d’instaurer un réel contrôle démocratique de la science, des techniques, quel que soit le domaine de la vie de l’homme, de l’animal ou de la nature où elles s’appliquent. Ce qui suppose, non seulement une révision de fond en comble de nos institutions démocratiques prétendument représentatives, mais aussi une transformation complète de la prise de décision dans les multinationales. Et, très probablement, l’entrée dans une nouvelle ère, celle de leur démantèlement. En d’autres termes, le partage des savoirs est indissociable du passage à une société post-capitaliste et post-productiviste. Et l’on peut même affirmer qu’il en constitue une condition.

Cinquième principe : l’autogestion

L’université, nous le savons, s’est transformée en entreprise managériale, voire en firme multinationale pour celles qui se situent au top 100 des classements internationaux, renforçant ainsi les modes de gestion capitalistiques dans le monde entier. Les pouvoirs de décision sont de plus en plus centralisés et réglementés par le marché, par exemple pour les universités françaises, autour de « contrats d’objectifs » avec l’État définis par un cercle restreint de décideurs. Les nouveaux managers et entrepreneurs universitaires du monde entier, persuadés d’avoir à faire face à la concurrence mondiale, passent leur temps à définir et mettre en place des plans stratégiques incluant des politiques de « marque ».

Face à ce capitalisme universitaire, l’université du partage des savoirs revendique la réappropriation collective de l’outil de travail où toutes celles et ceux (personnel, étudiants, citoyennes et citoyens) qui contribuent à la vie universitaire doivent avoir une part égale dans toutes les décisions qui les concernent (emploi, salaires, gestion financière quotidienne ou investissement, organisation des enseignements et de la recherche, choix des cours…). L’autogestion comme modèle de réappropriation n’est pas seulement un principe d’organisation. C’est aussi une forme de savoir à enseigner qui doit sortir l’individu individualiste de son infantilisation par la marchandisation et de son désintérêt pour les choses de la cité. En cela, l’autogestion constitue un apprentissage en parfaite consonance avec le besoin de dépasser les clivages entre les imaginaires de ceux qui veulent transformer les institutions publiques tout en restant dans une logique étatique et les imaginaires de ceux qui, comme les zadistes, se battent et agissent dans l’ici et maintenant. Le projet d’université alternative « La volante (16) » au moment de la mise en place de Parcoursup illustre tout à fait ce débat entre des universitaires « classiques » et des architectes, boulangers, retraités et autres professions qui pensaient construire un autre modèle, autour de campus éphémères, de la prise de places publiques, de la suppression des diplômes, bref, un projet véritablement alternatif. Un projet toutefois qui n’a pas abouti…

Apprendre à sortir de la dépossession des processus de décision, tant pour le personnel que les étudiants, c’est être radical, c’est-à-dire aller à la racine des problèmes et à la hauteur des solutions. Faut-il instituer des conseils de bon gouvernement dans chaque université, aller vers une fédération des universités alternatives, construire des alliances internationales de coopération, des fédérations planétaires ? Autant de questions à résoudre, « caminando preguntando (17) » comme disent les zapatistes.

Sixième et dernier principe : le cosmopolitisme

Cette université du partage des savoirs de tous, par tous et pour tous que je viens de dessiner sera forcément cosmopolitique, ouverte à des savoirs qui viennent de partout, ouverte à la coopération entre les individus, quelle que soit leur origine sociale, géographique, politique (des paysans du Chiapas, du Rojava, des coopératives du pays basque, de l‘université du buen vivir en Amérique du sud, de l’université des va-nus-pieds en Inde, des citoyennes, citoyens, militantes et militants du monde entier, etc.). Elle sera forcément un bouillon de culture international et cosmopolite, avec des manières de voir multiples, avec des alternatives diversifiées. Mais il faudra aussi prendre garde à ce que, dans notre université cosmopolitique, les choses ne se passent pas comme dans l’université néolibérale où « la dimension internationale », la « mobilité » géographique des publics et des savoirs ont été instrumentalisées et récupérées par la mondialisation marchande. Ce que nous visons, c’est un « cosmopolitisme des multiplicités » (pour reprendre le terme de Jérôme Baschet), un cosmopolitisme à la fois enraciné et radical qui doit être un principe nouveau et pluriel d’organisation de l’enseignement et de la recherche. L’université cosmopolitique du partage des savoirs, c’est la capacité à construire le commun dans l’hétérogénéité et à accepter que les formes d’alternatives soient forcément diversifiées. Si les exemples que nous choisissons à l’IDST ont tous en commun la lutte pour la sortie du capitalisme productiviste, chacun s’inscrit à sa façon dans une réalité politique, sociale, historique, nationale.

Voilà j’aurai encore bien des choses à évoquer mais cela devrait suffire, je l’espère, à lancer la discussion.

Notes

  1. Vers une politique des mondes
  2. Cohen, M. D., March J.G, Olsen J.P., “A garbage can model of organizational choice”, Administrative Science Quaterly, Vol. 17, N°1.March 1972.
  3. Propos de Frédérique Vidal lors d’un séminaire CNRS-CPU, 6 février 2020.
  4. Pol, Patricia, Le débat universitaire en France, de la montée des tensions à la reconfiguration du paysage universitaire, Revue Internationale d’Éducation de Sèvres, n°45, septembre 2007.
  5. La déclaration de la Sorbonne, à l’initiative du Ministre Claude Allègre et signée par les ministres allemand, italien, britannique et français, consacre la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur.
  6. Bitoun Pierre et Dupont Yves, Le sacrifice des paysans, une catastrophe écologique et anthropologique, L’Échappée, 2016.
  7. l’Internationale des Savoirs pour Tous
  8. Toutefois, cette appellation était malheureusement déjà utilisée par un groupement d’universités espagnoles à l’image de nos COMUE (Communautés d’universités) en France.
  9. Readings. Bill, Dans les ruines de l’université, Lux éditions, 2013.
  10. Granger, Christophe, La destruction de l’université, La fabrique éditions, 2015.
  11. Dupont, Yves, L’université en miettes, Editions l’Échappée, 2014.
  12. Laval, Christian et Vergne Francis, Éducation démocratique, la révolution scolaire à venir, La Découverte, Coll. Horizon des possibles, 2021.
  13. Waters, Lindsay, L’éclipse du savoir, Allia, 2008.
  14. À l’opposé de ce que Clark Kerr avait théorisé dans les années 70 autour de la multiversité conçue comme une juxtaposition d’écoles de formation professionnelle. Kerr Clark, The Uses of the University, Harvard University Press, 1972.
  15. Nous faisons ici référence à Jacques Derrida, L’Université sans conditions, Galilée, 2001, p.11.
  16. La volante
  17. « Nous interrogeant en marchant, chemin faisant »

Posts les plus consultés de ce blog

Universidad de la Tierra : autonomía, saberes y rebeldías

NewImage

es-ES

Universidad de la Tierra : autonomía, saberes y rebeldías

La idea generalizada que tenemos de la Universidad es la de un lugar en el que estudiar durante un tiempo y acabar consiguiendo un título que certifica el supuesto aprendizaje obtenido. La continua mercantilización de la enseñanza promovida por el sistema capitalista también nos lleva a pensar en la Universidad como un lugar excesivamente caro, al que solo algunos tienen la posibilidad de ingresar y en el que, finalmente, recibes un título que ya no te sirve para trabajar (y que, a veces, tampoco refleja los conocimientos adquiridos). Si pensamos en alguna facultad concreta acabamos pensando en un edificio grande, de hormigón gris, quizás adornado con un césped y formado por las últimas tecnologías (en lo que sea). A veces también pensamos en facultades que se caen a pedazos y aulas masificadas. Esto es exactamente lo que no quería el Doctor Raymundo Sánchez Barraza. El Centro Indígena de Capacitación Integral – Universidad de la Tierra (CIDECI-UniTierra) se plantea como todo lo contrario a esa concepción capitalista del aprendizaje que tan asumida tenemos. Por eso es imposible acercarse al proyecto (hoy realidad tangible) sin que se derrumben los esquemas aprehendidos. No se concibe entender el Sistema Indígena Intercultural de Aprendizaje sin la destrucción de lo establecido. Este proyecto comienza a andar en 1983, sin embargo, no es hasta 1989 que se define como autónomo. En ese año es auspiciado por el obispo de San Cristóbal de las Casas, Samuel Ruiz, conocido por su labor indigenista y de apoyo a los pueblos originarios del Estado de Chiapas. Y por ser obispo de la ciudad durante más de 40 años (hasta que el poder consiguió alejarlo de allí para que dejara de provocar fallas en el sistema). Coordinado en todo momento por Raymundo Sánchez Barraza, quién también regala su vida a la causa indigenista. En 1994 los ideales zapatistas se entroncan con los del CIDECI y no se entiende su filosofía sin ellos. Según su coordinador (quien suelta una carcajada al momento de dirigirnos a él como Rector) la denominación de Universidad es un acto de rebeldía, una respuesta a las burlas del sistema al referirse a ellos y al no considerar la capacitación que allí se recibe como un aprendizaje real. Y es que UniTierra ni es oficial ni busca el reconocimiento oficial, sino el de los pueblos y las comunidades indígenas. Indudablemente, ese ya lo tiene. Entonces “¿por qué no podemos tener el prestigio de las universidades?”, se pregunta Raymundo Sánchez.

Estructura y organización

Niños y niñas venidos de comunidades indígenas, a partir de los 12 años y con independencia de que sepan leer o escribir o de que conozcan el idioma castellano. Este es el perfil de los y las alumnas que ingresan al centro. No hay un número fijo de estudiantes en cada momento, ya que si lo normal es que se tomen cursos de (más o menos) 9 meses, jóvenes van y vienen según su disponibilidad. Pueden tomar 15 días de curso, un mes o varios años. Dependiendo de la distancia entre su comunidad y el centro, quienes allí estudian estarán internos o externos. Esto es, quienes vienen de comunidades más lejanas serán internos y harán uso de los albergues con los que cuenta el centro mientras que quienes residan en comunidades circundantes estarán externos, yendo y viniendo a sus cursos a diario. Así como el número de alumnos es variable en cada momento, lo que si se mantiene es la proporción de hombres y mujeres. Sobresalen los chicos sobre las chicas. En número, claro. También son constantes los y las estudiantes que desconocen el castellano al llegar a sus cursos. Las lenguas que predominan son el tzotsil, el tzeltal y el ch’ol; aunque son muchas más las que se cruzan en los talleres del CIDECI. Los profesores conocen esas lenguas, aunque no siempre hablan a los y las alumnas en su lengua materna, “porque si no nunca aprendemos” como dice uno de los chicos que allí desarrolla su actividad.

Los saberes que se imparten van desde cursos de tortillería y panadería (con los que se abastece el comedor en el que colaboran los y las estudiantes) hasta cursos de herrería, electricidad, carpintería y alfarería. Es gracias a la aplicación de estos aprendizajes que el centro es lo que es hoy en día, ya que ha sido totalmente construido por quienes allí estudian. Igual que la mantención del mismo. Un ejemplo, las cortinas se hacen en el taller de telares, y luego se cosen y preparan para su uso en el taller de corte y confección y luego, en el caso de que queramos que las cortinas lleven algún motivo dibujado este se hará en el taller de pintura. Así cualquier cosa que veamos en el vasto terreno del CIDECI habrá sido construida gracias a los saberes que allí se han transmitido. Todo esto sin dejar a un lado la música, mecanografía o computación, donde además se practica el arte de arreglar con las manos todos los instrumentos necesarios para estas actividades. Junto con estos saberes hay unas cuantas áreas de estudios como son: Derecho Autónomo, Arquitectura Vernácula, Agroecología, Hidrotopografía, Administración de Iniciativas y Proyectos comunitarios, Interculturalidad o Análisis de los Sistemas – Mundo. Al terminar su estancia en la UniTierra, los y las alumnas reciben apoyo en un proyecto para aplicar sus conocimientos en la comunidad de la que provienen. Así se les surte de conocimientos, asistencia y las herramientas necesarias para echar a andar sus ideas en sus comunidades. Unas ideas que luego repercutirán en sus compañeros más cercanos facilitándole o mejorándole sus vidas en comunidad ¿Cómo no considerarla Universidad, cuando quizás sea la más digna de todas?

Instalaciones y autonomía

La autonomía se respira en el aire de la Universidad de la Tierra. En el taller de zapatería se hacen los zapatos para los y las alumnas, el huerto ofrece las verduras que se cocinarán en el comedor, pero también las que sirven de alimento a los animales de la granja (conejos, borregos, ocas, cerdos, gallinas y pavos). Trabajar en el mantenimiento de estas instalaciones es la reciprocidad que ofrecen quienes allí estudian a cambio de la gratuidad lugar. Y a su vez, todo lo producido sirve para abastecer a las personas que allí residen. ¿Y la luz y el agua? Evidentemente, no vienen por parte del gobierno o de alguna institución oficial ya que lo único que se ha recibido por parte de estos ha sido un cruel hostigamiento. La CFE (Comisión Federal de Electricidad) ha merodeado por la zona de manera amenazante en busca de pagos. Eso se supera gracias a la instalación de generadores de electricidad. El agua que abastece a todos y que corre por el sistema de riego que hay instalado proviene de un profundo pozo cavado en sus terrenos. Autonomía total.


NewImageCada jueves los y las estudiantes se reúnen aquí para tratar temas de actualidad, movimientos sociales o problemas que se planteen en sus comunidades.

Lejos de tener carencias, la Universidad de la Tierra se muestra como un paraíso. Las instalaciones y su integración en la naturaleza distan mucho de lo que podemos pensar de esta universidad sin zapatos, como se autodenomina. Además de las decenas de talleres (entendidos como lugar físico), del comedor y de las construcciones que guardan los generadores; son varias las salas para seminarios y aulas que se prestan a otros movimientos sociales. Una colorida capilla se presta a la realización del culto y un enorme auditorio se abre a grandes celebraciones y tiene siempre las puertas abiertas al EZLN, quien celebró en dicho auditorio la Clausura del Primer Festival de las Resistencias y las Rebeldías Contra el Capitalismo este pasado mes de enero.

Filosofía e inspiración

Además de inspirarse en el EZLN y el obispo Samuel Ruiz, este centro por y para indígenas se asienta sobre los principios de Imanuel Wallerstein y de Iván Illich. Del primero agarran su análisis sobre el capitalismo basado en conceptos como Sistema – Mundo. Es de Iván Illich de quien beben sus concepciones acerca de la enseñanza, el aprendizaje y la desescolarización. Se olvidan del tipo de enseñanza impuesto por el capitalismo al que hacíamos referencia al comienzo de este texto y priman el aprendizaje en relación con las personas. Cómo diría Illich en La sociedad desescolarizada:

  • Los profesores de habilidades se hacen escasos por la creencia en el valor de los títulos. La certificación es una manera de manipular el mercado y es concebible sólo para una mente escolarizada. La mayoría de los profesores de artes y oficios son menos diestros, tiene menor inventiva y son menos comunicativos que los mejores artesanos y maestros.
  • La instrucción libre y rutinaria es una blasfemia subversiva para el educador ortodoxo. Ella desliga la adquisición de destrezas de la educación ‘humana’, que la escuela empaca conjuntamente, y fomenta así el aprendizaje sin título o permiso no menos que la enseñanza sin título para fines imprevisibles.

Dos citas muy prácticas para entender la filosofía del CIDECI que se basa en tres principios inquebrantables: “aprender haciendo”, “aprender a aprender” y “aprender a ser más”. Estos principios ejercen de guía principal a la vez que sirven de bola de demolición contra lo ya impuesto en materia de educación por el sistema actual. Una red entretejida por y para los indígenas de la mano del “Doc” Raymundo. “Seguir haciendo, seguir formando sin perder de vista las directrices del EZLN y de los pueblos originarios”. Porque la Universidad de la Tierra es por y para ellos.

Publicado en el blog
https://silviadistopia.wordpress.com/2015/03/05/autonomia-y-aprendizaje-en-cideci-unitierra/,
5 de marzo de 2015.

Para más información sobre los seminarios organizados por la Universidad de la
Tierra consulta las transmisiónes en vivo en el sitio:

http://seminarioscideci.org/
https://www.youtube.com/watch?v=XRzTfaieltA

La mercantilización a hombros de gigantes: la universidad pública española, de casa de citas a cueva de plagiarios

es-ES

La mercantilización a hombros de gigantes: la universidad pública española, de casa de citas a cueva de plagiarios

NewImage


Las universidades públicas, parafraseando a Newton, pueden producir conocimiento porque sus docentes han sido capaces de subirse a hombros de gigantes, que abrieron en el pasado, o abren en el presente, sus campos de conocimiento e investigación. Las abundantes citas bibliográficas que los académicos utilizan en sus libros y artículos son el registro de su recorrido y muestran la huella de los hombros donde se encaramaron. En este sentido, la universidad siempre será una casa de citas. Cuando, animada por su mercantilización neoliberal, ha comenzado a caminar en la dirección contraria, en la de, por ejemplo, Fernando Suárez –ex-rector de la Universidad Rector de la Rey Juan Carlos–, se convierte en una cueva de plagiarios. Universitarios corruptos que, viviendo en Lilliput, pero agraciados por los beneficios del mercado, se transforman en ciudadanos de Brobdingnag. Y universidades corruptas que lo permiten, o bien mirando hacia otro lado o, directamente, promocionando dichas prácticas. La creciente mercantilización de la universidad pública española ha propiciado ambos tipos de corrupción de la cual hoy somos testigos.

Un poco de historia para situarnos. La modernización de la universidad franquista durante últimas décadas del siglo pasado no supuso una ruptura con sus principios jerárquicos y sus formas de gestión autoritarias. Fue, como ocurrió en el resto de las instituciones españolas, una reforma que los actualizó y los legitimó en un contexto político formalmente democrático. Aunque se amplió el acceso a la formación superior y se incorporaron nuevos alumnos y, sobre todo, alumnas procedentes de sectores sociales históricamente excluidos, la universidad pública de la transición/transacción se diseñó como una ‘empresa económica’ y no como una empresa social. Los gestores universitarios de entonces ya comenzaron a organizar sus planes de estudio, su administración interna y las líneas de investigación  escuchando voces que les transmitían las ‘demandas del mercado’. El resultado de aquel proceso configuró una universidad pública, poco pública, e insuficientemente autónoma y democrática. Dicho de otro modo, el mestizaje entre los ‘muertos vivientes’ del academicismo franquista y los ‘vivientes muertos’ de la incipiente mercantilización neoliberal impidieron la plena consolidación de una universidad realmente pública autónoma y democrática. La universidad como un ´bien común’ ciudadano, con unos usos sociales en la docencia e investigación dirigidos a impulsar la igualdad de oportunidades y la democratización de los usos sociales del conocimiento, quedaron relegados a un segundo plano. Una universidad que no fue.

Ya en los inicios del siglo XXI, las políticas educativas del PP, así como la reforma del espacio europeo de la educación superior y su concreción en el Plan Bolonia consolidaron dicho proceso en el contexto de la globalización neoliberal. Por primera vez, con el gobierno de Aznar, se puso en marcha una Agencia Nacional de Evaluación de la Calidad y Acreditación (ANECA) que permitía, o no, los títulos universitarios y acreditaba, o no, a los docentes y su investigación en función de su productividad y competitividad. Una agencia de acreditación al estilo de las empresas americanas de calificación de riesgos que no fueron capaces de ver los riesgos de Lehman Brothers. La opacidad de este modelo, sumada al papanatismo y la ceguera con que buena parte de la comunidad universitaria de esos años aceptó estas reformas, ha acabado convirtiéndose en el orden vigente, inamovible e impenetrable. Algunos de sus productos más tóxicos son los sexenios de investigación, el programa Docentia o el sistema de acreditación del profesorado, entendido como una espiral de méritos inacabables y a veces inalcanzables. Este engranaje mantiene al profesorado encerrado en sus despachos, produciendo los méritos que se les demandan, cada vez más lejos de la realidad de las aulas.

La burbuja y la retórica de la excelencia, con todo un nuevo campo semántico: ‘satisfacción’, ’innovación’ ‘calidad’, emprendedor’, ‘motivación’, ‘objetivos estratégicos’, ‘buenas prácticas’... ha servido para impulsar e impregnar las prácticas investigadoras y docentes del nuevo espíritu del neoliberalismo universitario. Un espíritu que concibe a estudiantes y profesores como empresarios de sí mismos. Las nuevas regulaciones normativas han impuesto al personal docente e investigador una evaluación permanente con objetivos cada vez más difíciles de alcanzar. Por añadidura, la responsabilidad de no alcanzarlos recae, única y exclusivamente, sobre ellos. La culpa recae sobre la víctima. En última instancia, la praxis de la excelencia ha bloqueado de hecho la posibilidad de un trabajo docente digno al subordinarlo a la productividad investigadora. Aquellos que no han producido el tipo de investigación exigido por los criterios productivistas y bibliométricos han sido penalizados con más docencia. El incremento de la precariedad laboral y la creciente e imparable presencia del estrés y la presión mental sobre los docentes son hoy la auténtica cara de la excelencia.

Por las puertas laterales de este edificio o por las principales, como la del Instituto de Investigación de Álvarez Conde en la Universidad Rey Juan Carlos se han ido colando, colocando y titulando en estos últimos años todos aquellos personajes que, como Cifuentes, Casado o Montón, han tenido pocos reparos en intercambiar prestigio político o económico por credenciales académicas. Su responsabilidad, como ya hemos señalado, no es única. No es un gesto corrupto aislado. En una universidad crecientemente burocratizada, individualizada, tan marcada por la competitividad, la carrera y las promociones, el sentido de lo público en la docencia y en la investigación ha acabado debilitándose. Lo importante es conseguir el título, la acreditación, el índice de impacto, el certificado adecuado que puede permitir obtener los puntos para posicionarte bien en los baremos. En esta guerra sin cuartel por posicionarse y acaparar méritos, comienza a valer todo. Este es el mensaje que la elite promocionista del profesorado universitario ha dirigido a todo el resto de profesores. Una elite que muchas veces ha ocupado los espacios de gestión y el gobierno de las universidades. En estos espacios, se ha especializado en diseñar los sistemas de control para gobernar el acceso del profesorado, pero, evidentemente, no se ha ocupado de poner en marcha sistemas de control a su propia actuación en los institutos universitarios, departamentos, cátedras de empresa, fundaciones y otras instituciones que campan a sus anchas. Nos ofrecen una fachada de excelencia tras la que reina una corrupción institucionalizada. Como ocurrió en Lehman Brothers. El evaluador no es evaluado.

El resultado ha acabado siendo esta universidad tóxica, zombie, mercantilizada y otros elocuentes adjetivos propuestos por profesores ingleses y americanos que han investigado sobre los efectos de este modelo neoliberal en sus propias universidades, golpeadas durante las últimas décadas por todo un catálogo de horrores que da forma a una universidad sin sentido, desorientada, enfermiza. Nuestra universidad responde también a este retrato. Sí queremos evitar su desaparición es urgente trabajar por construir otra universidad que como ‘bien común’ sea realmente pública, autónoma y democrática.

José Manuel Rodríguez Victoriano y Antonio Santos Ortega son profesores de la Facultad de Ciencias Sociales y representantes de CGT en la Junta de PDI de la Universidad de Valencia

Primera publicación en infoLibre el 26/09/2018

À propos de l’Université de la Terre et des écoles zapatistes

 

fr-FR

En complément à l’article Universidad de la Tierra : autonomía, saberes y rebeldías, nous publions ci-dessous un texte de Christine Lapostolle, issu de longues heures de discussion avec Jérôme Baschet. Il nous a été transmis par ce dernier et porte également sur les écoles mises en place par les communautés autonomes zapatistes du Chiapas. (La Rédaction du blog)

NewImage« Il s’agit bien d’un projet politique, en rupture avec les formes de vie et d’expérience propres au système institutionnel et à la société capitaliste » (Jérôme Baschet)
« Spécialiste ? 
— Pourquoi ne souhaites-tu pas que cet échange soit transcrit sous forme d’entretien ?
— Je ne supporte pas la position du « spécialiste », j’ai horreur de passer pour celui qui sait. »

L’Université de la Terre (aussi appelée Cideci : Centre indigène de formation intégrale) naît dans la mouvance de l’action de l’ancien évêque du Chiapas Samuel Ruiz. Samuel Ruiz est un des défenseurs de la théologie de la libération qui s’est propagée dans plusieurs pays d’Amérique latine à partir des années 1960. La théologie de la libération a été très importante dans l’expérience des communautés indiennes qui ont ensuite formé l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), notamment l’idée de l’auto-organisation des opprimés, l’idée qu’il s’agit moins de porter la bonne parole que de demander et d’écouter, selon la méthode dite du tijwanel (faire sortir ce qu’il y a dans le cœur de l’autre) — il s’agit de promouvoir une circulation horizontale de la parole dans des assemblées, de recueillir la parole présente dans le peuple pour la rassembler et la redistribuer. Tu retrouves cela chez les zapatistes : ne plus être assisté parce qu’on est pauvre, organiser sa vie à partir de ses richesses propres, aussi minimes soient-elles en termes d’argent, à partir de l’expérience qu’on a et des ressources de la communauté.

Concrètement, l’Université de la Terre est implantée à l’extérieur de San Cristóbal de Las Casas, à quelques kilomètres, au pied des montagnes. C’est un lieu magnifique. C’est la première chose qui frappe. La beauté du lieu. Tu arrives tu vois ce site, ces bâtiments au milieu de la végétation. C’est plein de verdure, entretenue avec soin. Des fleurs partout, des peintures murales...

Les bâtiments ont été construits par ceux qui travaillent là, progressivement, au fil des années, avec les moyens du bord, avec des dons, de l’argent gagné, notamment celui des cultures au milieu desquelles se trouve l’Université.

À l’Université de la Terre sont surtout organisés des apprentissages pratiques : agriculture, électricité, informatique, mécanique... Il y a aussi la fabrication (relativement artisanale) de livres. On cherche des façons de faire adaptées à une économie locale ; il s’est par exemple développé ces derniers temps une unité de recyclage des carapaces de crevettes : la crevette est pêchée en abondance sur la côte Pacifique, à partir des carapaces de crevettes on obtient un matériau qui peut servir à toutes sortes usages — mais je ne connais pas bien la question !

L’Université de la Terre est ouverte à tous ceux qui veulent apprendre, sans exigence de diplôme ou de niveau. Tout le monde a le niveau ! Elle sert aux jeunes Indiens des communautés zapatistes — elle est d’abord conçue comme un soutien aux zapatistes, mais il y a aussi des jeunes d’autres communautés indiennes. Et il y a des gens de San Cristóbal qui viennent. Tu viens là parce que tu veux te former dans tel ou tel domaine. Il n’y a pas de durée établie, les étudiants habitent sur place, il n’y a pas d’examens, de diplômes, c’est à chacun de savoir quand il a acquis ce qu’il était venu chercher. On peut repartir et revenir autant de fois qu’on en sent le besoin. La formation est à la fois libre et personnalisée. Il y a des formateurs, mais les gens s’entraident et avancent aussi comme ça. L’idée est celle d’une « communauté ouverte d’apprentissage » : même si certains ont plus d’expérience dans tel ou tel domaine, on construit ensemble des apprentissages, ce qui diffère de la conception d’une éducation dispensée par certains à d’autres qui la reçoivent.

Il n’y a pas d’enseignement théorique à proprement parler, mais beaucoup de rencontres sont proposées et tout le monde est convié. Les zapatistes y ont organisé plusieurs grands rassemblements ces dernières années, avec des gens qui venaient de tous les coins du monde : la rencontre organisée en 2007 après la mort de l’historien André Aubry a eu lieu là ; cinq mille personnes se sont retrouvées pour le Festival de la Digne Rage en janvier 2009... L’Université de la Terre se définit comme un « espace autonome », en rébellion contre les structures de l’État. Et lors d’une des rencontres organisées par l’EZLN, Marcos l’a déclarée « territoire zapatiste » (ce qui devrait constituer une protection vis-à-vis des possibles attaques gouvernementales).

C’est une sorte d’interface entre les communautés zapatistes et le reste du monde. Elle n’est bien sûr pas reconnue par le gouvernement mexicain. Elle n’a pas fait l’objet d’attaques frontales, mais elle subit pas mal de harcèlement, notamment via la Commission fédérale d’électricité, qui veut intenter un procès pour des dettes supposées alors que l’Université de la Terre est maintenant équipée de son propre générateur d’électricité. Les étudiants doivent se relayer jour et nuit pour des tours de garde à l’entrée. Récemment, des camions de l’armée fédérale sont venus patrouiller aux abords de l’Université de la Terre ; les soldats sont même descendus à pied avec leurs armes à la main, ce qui a suscité beaucoup d’inquiétude.

Je le redis, un des points importants est la beauté des lieux, une beauté simple, liée à la nature, au site et à la végétation, et à la gentillesse des gens, au sens communautaire. Tout le monde est frappé par l’accueil qu’on y reçoit. Évidemment en France quand tu dis « communauté » cela évoque tout de suite de vieilles images post-soixante-huitardes. Mais là, la référence, c’est la communauté indienne, avec le sens du collectif et de l’entraide qui la caractérise.

En dehors des grandes rencontres, tu as deux types de séminaires fréquentés à la fois par les étudiants, et aussi par des gens de la ville, par des sympathisants venant d’autres parties du Mexique et d’autres pays — tous ceux qui le souhaitent peuvent venir.

En outre il y a très souvent des invités de passage qui font des conférences ou exposent leur expérience de lutte dans leur pays. Les étudiants préparent et commentent après coup, ce qui est une occasion d’apprentissage sur telle partie du monde, sur certains problèmes qui nous concernent tous...

Le premier type de séminaire a lieu une fois par semaine. C’est le jeudi soir, ça commence à cinq heures, le temps qu’on se dise bonjour, qu’on prenne un premier café, ça fait plutôt six heures et là on discute parfois jusqu’à onze heures du soir. L’objet de ces séminaires, c’est l’actualité politique, chiapanèque, mexicaine et internationale, la lecture de la presse. Chaque semaine on distribue à tout le monde un stock d’articles, une cinquantaine de pages, les gens lisent, et on discute des articles la semaine suivante. Ce n’est pas l’actualité au sens Twitter, il y a un petit décalage avec le présent immédiat, en plus les articles au moment où on les distribue datent en général de quelques jours... Mais ça n’a aucune importance. L’actualité dans la minute, dans ce contexte, ça n’a pas de sens.

La séance commence par un compte rendu des lectures de la semaine en trois langues : en espagnol d’abord, trois quarts d’heure à peu près. Tout le monde en principe comprend l’espagnol, mais il y a des gens qui sont plus à l’aise en tsotsil ou en tseltal, alors il y a aussi des comptes rendus en tsotsil et en tseltal. Cela demande beaucoup de temps. Il faut beaucoup de patience. Ces conférences sont une vraie mise à l’épreuve de la patience pour un Occidental. Tout le monde écoute, écoute longtemps, et tout le monde parle, il n’y a pas de temps de parole, on laisse parler tous ceux qui veulent aussi longtemps qu’ils le veulent. Jamais on ne va couper la parole à quelqu’un. On le laisse parler, on le laisse aller au bout de ce qu’il a à dire. Et après, s’il y a lieu, on va formuler un autre point de vue en prenant autant de temps que nécessaire. Tous ceux qui parlent ne sont pas des habitués de la rhétorique, parfois il faut à quelqu’un très longtemps pour parvenir à exprimer ce qu’il veut dire. Tant pis, on ne s’énerve pas, on l’écoute. Ce respect de la parole est assez rare en Occident, je crois. Tu n’as pas besoin de savoir bien parler pour t’exprimer. Si tu as quelque chose à dire, tu le dis avec tes mots, tu cherches tes mots, on t’écoutera. Tout le monde écoute tout le monde, c’est un principe de base, c’est une sorte d’apprentissage de la parole en groupe...

Il y en a qui se taisent : il y a des étudiants qui ne disent rien. Mais tu as aussi des gens qui viennent ponctuellement, des gens de la ville, qui viennent avec leurs questions, leurs problèmes particuliers. Et comme c’est entièrement ouvert, tu as des gens qui ignorent ce qui s’est dit la fois précédente. Par exemple, il y a souvent des discussions autour de la question des terres : tu as beaucoup de gens, dans la périphérie de San Cristóbal qui se sont installés, ils ont construit sur des terres qui appartiennent officiellement à l’État. Ils fondent un quartier et puis au bout de quelques années la question de la propriété du sol se pose. En principe au Mexique, État ou gros propriétaire, si tu ne fais rien de tes terres pendant plusieurs années, elles peuvent passer aux mains de ceux qui les occupent et en font quelque chose. Mais cela donne lieu à des conflits. L’État joue de cela, sans forcément intervenir directement, il fait pression, il va faire des incursions au moment où on ne s’y attend pas, laisser planer la menace...

Ceux qui participent aux séminaires viennent d’horizons divers : des étudiants, des universitaires, des gens de différentes trajectoires politiques, anciens trotskistes, libertaires... Il y aussi des gens qui appartiennent ou ont appartenu aux structures de l’évêché. Parfois, il y a des nouveaux qui débarquent et qui t’expliquent ce qu’il faudrait faire comme si tu n’y avais jamais réfléchi... Ou quelqu’un qui se met à t’expliquer en long et en large quelque chose qui a déjà été discuté la semaine précédente où il n’était pas là. Tant pis, on écoute, on laisse parler. C’est la même chose dans les communautés. Toutes les décisions sont discutées autant que nécessaire, même s’il faut parler très longtemps. On ne prend la décision que quand tout le monde est d’accord. Et personne ne s’énerve. Je vois mal ce genre de chose ici en France. J’ai un ami qui ne supporte pas ! Il vient mais ça l’exaspère qu’on ne puisse pas se contredire, il ne supporte pas que les gens parlent sans limite de temps...

On est une quarantaine de personnes. Autour d’une grande table. Il y a le café, les petits pains, ça rentre, ça sort...

Un samedi matin par mois, c’est le second type de séminaire, on se réunit pour discuter autour d’un livre. Là on est moins nombreux, tous les étudiants ne sont pas présents. On choisit un livre et on l’étudie ensemble. Selon les mêmes principes de parole que ceux que je viens d’évoquer. Ces derniers temps on s’est penchés sur les écrits d’Ivan Illich. Avant, pendant trois ans, tous les samedis on a lu les livres d’Immanuel Wallerstein — sa critique du capitalisme mondialisé, la théorie des systèmes-monde — sa pensée compte beaucoup à l’Université de la Terre. Avec Ivan Illich, on est au cœur de la réflexion sur l’éducation. Illich a vécu au Mexique, son Centre pour la formation interculturelle (le Cidoc) était implanté à Cuernavaca. Dans les dernières rencontres internationales organisées par l’EZLN ou autour des anniversaires du 1erjanvier 1994, la pensée d’Illich a été assez présente. À plus forte raison depuis le rapprochement avec Javier Sicilia, le poète dont le fils a été assassiné en 2011 : les zapatistes ont organisé une grande mobilisation pour soutenir la Marche pour la paix qu’il a engagée pour dénoncer le crime organisé. Javier Sicilia est un disciple d’Ivan Illich.

Une des idées principales d’Illich en matière d’éducation et d’apprentissage, c’est d’en finir avec l’école-institution. Repenser la question de l’enseignement, de la transmission, en dehors du rapport d’autorité et de normalisation qu’instaure l’école comme institution qui s’arroge le monopole du savoir légitime. Illich dénonce aussi le caractère contre-productif de l’école (comme d’autres institutions : l’hôpital, les transports, etc.) qui en délégitimant de nombreux savoirs et de nombreuses pratiques, produit un mode de savoir et des pratiques standardisés, abstraits, coupés de la vie. Lorsqu’il parle d’une société sans école, ce n’est pas forcément qu’aurait été aboli tout lieu spécifique voué aux apprentissages, mais il conteste le fait de réduire à l’école le périmètre de l’apprentissage. Chacun doit pouvoir accéder aux connaissances dont il a le désir et tout le monde peut apprendre à tout le monde. Chacun sait des choses qu’il peut transmettre si on établit les conditions qui le permettent. On a beaucoup moins souvent qu’on ne le croit besoin de maîtres, on a besoin d’une pratique des savoirs, d’une circulation, d’un échange ininterrompu. Il s’agit de valoriser les apprentissages liés à l’expérience, à la vie réelle, l’auto-apprentissage, l’inter-apprentissage, non pas l’éducation a priori mais les apprentissages en fonction des besoins effectifs, des situations, etc. Illich prône la déspécialisation, il s’oppose à la délégation de l’enseignement à des spécialistes autorisés. Tout le monde sait, dit-il, et a des capacités à transmettre.

Reste que tout dépend de la question suivante : apprendre pour quoi ? Pour vivre dans quel monde, dans quelle réalité sociale ?

NewImage

Les écoles des communautés

Promotores, le mot n’est pas terrible en français où le promoteur évoque surtout l’immobilier ! Mais en espagnol, dans le contexte dont je parle, il faut l’entendre au sens premier : celui qui promeut, fait aller en avant, qui suscite l’élan...

Dans les communautés, ceux qui enseignent aux enfants dans les écoles primaires sont appelés promotores. Trois cents écoles primaires existent aujourd’hui dans la seule zone des Altos (Hautes Terres), l’une des cinq zones gouvernées par les autorités autonomes zapatistes. Les promotores ont été formés pour leur tâche mais ils ne sont pas payés. Ils ne gagnent pas d’argent, ils reçoivent seulement une aide en produits alimentaires de la communauté où ils enseignent ; ils continuent aussi à participer à la production agricole de leur famille, à la récolte du café, leur activité ne se limite pas à l’enseignement. Au moment de la récolte du café, l’école s’arrête, tout le monde s’y met, les enfants aussi. À la fois les promotores ont été formés pour faire l’école, mais ils participent aux autres activités quand c’est nécessaire.

Souvent ils manquent de pas mal de choses... ils n’ont pas forcément de quoi acheter le matériel scolaire ou les livres dont ils auraient besoin, et pas même de quoi s’acheter un nouveau pantalon ! De toute façon le principe c’est : on a une petite salle pour faire la classe, tant mieux, mais si on ne l’avait plus, on ferait la classe sous un arbre.

Au premier abord, l’organisation générale se présente un peu comme ici. C’est très structuré. Il y a six années. On acquiert des connaissances. Tu fais ton cursus. Là ils ont un peu calqué sur le système officiel. Ça ressemble à l’idée qu’on a de l’école. On peut se dire, c’est un peu dommage. Mais où ça change, c’est dans le statut même du promoteur et dans la manière de concevoir l’éducation — comment on apprend. Il n’y a pas de compétition, il n’y a pas d’échec ou de réussite. Tu as des savoirs à acquérir et on t’explique jusqu’à ce que ce soit acquis. Ceux qui ont compris plus vite aident les autres. Et on ne passe à autre chose que quand tout le monde a compris.

L’école n’est pas organisée de façon identique partout. Il y a cinq zones entre lesquelles se répartissent les communautés, et dans chaque zone, même si les principes généraux sont les mêmes, il y a des variations importantes.

Dans l’école secondaire, tout le monde est capable d’enseigner tout. La non-spécialisation, cela veut dire que les promotores doivent se débrouiller avec la situation telle qu’elle se présente. Quelqu’un commence à être bien formé dans une discipline, mais s’il y a un manque dans une autre discipline qu’il n’a pas encore enseignée il faut qu’il s’y mette : quelqu’un part et il faut tout réorganiser... Souvent, dans les communautés, les gens jeunes éprouvent le besoin de partir un an ou deux dans le nord du Mexique ou aux États-Unis, c’est un peu le voyage obligé : même si les conditions de vie sont très dures, les gens partent, puis en général reviennent dans la communauté. Si quelqu’un s’arrête, on prend son travail en charge. Même si a priori on ne sait pas faire ce qu’il faisait — on apprend, on trouve. Il faut faire avec ce qu’on a, apprendre sur le tas. Il faut se débrouiller. Ce n’est pas un principe, ce n’est pas systématique, mais quand il faut résoudre un problème d’organisation on change la répartition des rôles. Tu enseignais l’histoire, et tu vas faire les sciences naturelles...

Les élèves habitent sur place. Garçons et filles bien sûr. Qui va dans les élèves secondaires ? Ce sont les intéressés eux-mêmes qui décident, il n’y a pas l’idée de repérer les meilleurs ou ce genre de chose. On va à l’école secondaire si on a envie d’aller à l’école secondaire et de faire quelque chose d’utile pour la communauté, c’est tout.

Les matières, ce ne sont pas exactement des matières au sens où on l’entend ici, ce sont des aires de connaissances : communication et langages, mathématiques, sciences sociales, sciences de la vie, humanisme, production.

Comment former les formateurs ? Il ne s’agissait pas de passer par l’enseignement classique mexicain. Il a fallu tout faire. La mise au point a pris plusieurs années. Ça a donné lieu à des discussions interminables. Entre les gens des communautés, qui savaient ce qu’ils voulaient, et des invités extérieurs, des sympathisants zapatistes, des gens qui, soit avaient une pratique d’enseignement, soit avaient envie de réfléchir à cette question en étant déjà sensibles aux enjeux des communautés autonomes. Il n’en est pas sorti des manuels, mais des textes, oui.

Les savoirs sont vus dans la perspective zapatiste, forcément. Dans la perspective des gens qui luttent. Dans les communautés, comme à l’Université de la Terre, la conception de l’éducation est sous-tendue par un projet politique, qui met l’autonomie au cœur des enjeux. Les communautés, l’Université de la Terre, sont conçus comme des espaces autonomes et le but est que l’autonomie gagne du terrain.

Le risque d’endoctrinement, il n’est certainement pas plus grand que dans l’école des sociétés capitalistes ! Il faut faire attention, certainement, mais le danger d’endoctrinement est assez faible car les zapatistes n’ont jamais été partisans d’une ligne politique rigide, ils ne pratiquent guère ce qu’on appelait, en d’autres temps, le travail de « formation politique ». Il y a des convictions partagées — la volonté d’autonomie dans tous les domaines, le rejet du capitalisme, l’égalité, l’idée de prendre en compte la réflexion, le point de vue de chacun : les décisions de ne prennent jamais à la majorité, il n’y a pas de spécialiste de ceci ou cela qui aurait plus voix au chapitre que les autres, on discute jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord et on agit ensuite.

L’une des idées majeures dans l’enseignement des écoles, et ça vaut pour toutes les matières, c’est que pour aller vers le plus lointain, on part du plus proche. Et on s’appuie toujours sur du concret. En histoire par exemple, on va commencer par apprendre l’histoire de la communauté, puis celle du Chiapas, puis du Mexique, puis du monde... En science tu vas commencer par travailler à partir de ce que tu as autour de toi, tu observes, les plantes, les animaux qui sont là, en maths tu vas partir des problèmes à résoudre dans la vie quotidienne...

Partir de soi, partir du concret, rendre tout concret. Cela veut dire aussi une implication du corps, des gestes. Le mouvement plutôt que la quasi-immobilité où le maître est debout et parle à des élèves assis qui écoutent en silence. Je prends un exemple. Tu expliques la densité de la population. Tu dis « densité de population », pour la plupart des élèves cela n’évoque rien. Alors tu vas faire une démonstration, plutôt que de t’en tenir aux mots, tu te lèves, tu vas au milieu de la pièce, tu fais venir des élèves, tu les répartis dans l’espace pour illustrer ce que tu veux montrer — quinze personnes par ici, trois par là, trois autres... tu fais une petite mise en scène. Et tout le monde est dix fois plus impliqué.

Il y a aussi des livres, bien sûr. Chaque école a une bonne bibliothèque. Et pour celui qui veut approfondir une question, il y a les livres, il y a Internet...

Il ne faut pas oublier qu’en ce qui concerne les zapatistes, si les Accords de San Andrés sur les droits indigènes ont été signés par le gouvernement fédéral et l’EZLN, le gouvernement a ensuite refusé les modifications de la Constitution qui devaient en découler. On est dans une sorte de no man’s land, l’armée, ou les forces paramilitaires, ne sont jamais très loin, l’État trouve régulièrement des moyens, même sourds, pour inquiéter les gens dans les communautés. C’est une sorte de harcèlement lent, insidieux.

Il s’agit, à l’Université de la Terre, dans les écoles zapatistes, mais plus largement aussi, de créer des pratiques différentes, des relations différentes entre nous tous ; il s’agit bien d’un projet politique, en rupture avec les formes de vie et d’expérience propres au système institutionnel et à la société capitaliste. Un autre monde dans ce monde-ci, pas pour des lendemains qui chantent et déchantent, mais tout de suite, avec ce qu’on a à portée de main, avec les limites que cela suppose. Des énergies qui se mobilisent pour construire collectivement, sans trop savoir comment, sans plan global préalable, un flux. Le chemin n’est pas tracé, il faut l’inventer, pas après pas, sans certitude.

Cet article a été publié pour la première fois le 10 octobre 2012 dans « la voie du jaguar » : https://lavoiedujaguar.net/L-Universite-de-la-Terre-a-San-Cristobal-de-Las-Casas