Polytechnique : urgence écologique et sociale, trois promotions appellent à s’engager

Dans le sillage du « Manifeste des Désert’heureuses » et « Appel à déserter. Des agros qui bifurquent » récemment repris sur notre blog, nous vous invitons à prendre connaissance des discours prononcés fin juin par quelques jeunes diplômés de l’École polytechnique. Comment expliquer cette « déviance » d’une partie des futures « élites » ? Quelle en est la nouveauté, l’ampleur, la profondeur et jusqu’où peut-elle aller ? Changera-t-elle le cours de leurs vies ou des vies du plus grand nombre ? Sera-t-elle ou non récupérée, absorbée, neutralisée par le capitalisme productiviste et ses institutions ? Bien malin ou présomptueux qui prétendrait répondre avec assurance à ces questions et c’est là une raison de plus pour prendre le temps de les écouter, de les lire avec attention. De ligne en ligne ou entre les lignes…

La Rédaction du blog

Lors de nos cérémonies de remise des diplômes, les 24 et 25 juin, nous, des jeunes des promotions 2015, 2016 et 2017, avons prononcé des discours invitant nos camarades et alumnis à s’engager d’urgence pour stopper l’effondrement du vivant. Quatre discours d’une radicalité inédite dans l'histoire de l’institution, dont vous trouverez ici les retranscriptions.

Polytechnique : La technologie ne suffira pas - Urgence écologique et sociale - Promotion 2015

© Crédit vidéo : Direction de la communication de l'École polytechnique

Monsieur le Président, Mon Général, chers professeurs, chères familles, camarades,

C’est désormais un passage inévitable de ce type de cérémonie : le discours sur l’écologie. L'École a souhaité que les discours soient positifs, légers, axés sur l’engagement. Essayons.

La cérémonie de ce matin est un peu particulière. Entre notre départ du campus et aujourd’hui, il s’est passé 4 ans. 4 ans à chercher sa voie, se perdre, penser avoir trouvé, pour bifurquer à nouveau. 4 ans également de crises sociales, de pandémie, de guerre, et de signaux toujours plus nets des dérèglements climatiques en cours. 4 ans pour prendre conscience de tout cela, pour y réfléchir, et pour mûrir.

Aujourd’hui, nous ne voulons donc pas seulement répéter les messages du Manifeste étudiant pour un réveil écologique que nous avons signé il y a justement 4 ans. Aujourd’hui, nous voulons aussi profiter de ces retrouvailles retardées pour exprimer, avec un peu de recul, toute la gratitude que nous avons pour l’X, mais aussi évoquer certains questionnements auxquels l’école nous a moins bien préparés et que bon nombre d’entre nous se sont posés ces dernières années. Des doutes, des anxiétés, mais aussi des aspirations et des rêves. Et ce avec l’espoir que ces sentiments trouveront un écho grandissant entre ces murs et au-delà.

L’X offre la promesse de former des esprits analytiques et techniciens, qui feront partie des décideurs de demain. Mais des décideuses et décideurs d’un genre restreint, pour qui résonne encore la devise centenaire de l'École : “Pour la patrie, les sciences et la gloire”. Pour les autres, qui préféreraient peut-être œuvrer “pour l’humanité, le vivant ou l’avenir”, trouver sa voie après l’X est plus complexe. Il leur faut sortir des dogmes inculqués, aller à l’encontre des carrières dorées vers lesquelles familles, proches et société les poussent. Il leur faut se convaincre que non, leurs aspirations à se rendre utiles autrement ne font pas d’elles et d’eux des privilégiés ingrats ou manquant d’ambition.

Un nombre croissant d’entre nous ressentent une dissonance aiguë entre ce modèle de réussite matérialiste, et la conscience de ses impacts sociaux et environnementaux. Entre notre formation qui vise à perpétuer un monde sans fin, et le fait que notre extractivisme épuise toujours plus les ressources planétaires. Nous sommes un nombre croissant à vouloir écouter nos doutes et explorer des alternatives à un système devenu dysfonctionnel.

On nous répondra : « Vous êtes des ingénieurs plein d’idées, vous pourriez inventer de nouvelles technologies pour nous aider. » Mais ce biais technicien, nous devons l’éviter, cette tendance à croire qu’à chaque problème on peut associer une solution technique. Car non, l'essor de l'hydrogène vert, des batteries longue durée, des biocarburants ou de la capture carbone ne suffiront pas à nous éviter un réchauffement de 4°C et l’effondrement du vivant. Nous qui sommes câblés pour rationaliser, nous ne pouvons pas le nier : la planète ne peut plus encaisser la somme accumulée de nos pressions. Le constat est clair : nous devons réduire nos consommations matérielles, à commencer par les nôtres, celles des privilégiés. Nous devons radicalement changer nos modes de vie, de production et de consommation, nos façons de nous déplacer, de manger, de travailler, d'aménager le territoire, et même de vivre en société.

Mais une fois qu’on a dit ça, qu’est ce qu’on fait ? Comment ne pas se sentir impuissant lorsque le défi est de faire évoluer les habitudes de milliards d’êtres humains ? De déconstruire l’imaginaire d’une civilisation industrielle vieille de deux cents ans ?

Commençons peut-être par notre éducation. Dans nos couloirs infusent les idéaux d’innovation technologique, d’audace entrepreneuriale : à travers des cours d’économie qui postulent la croissance exogène, ou des cursus d’intelligence artificielle, totalement déconnectés des problématiques sociétales ; à travers aussi la présence, pourtant maintes fois pointée du doigt, d’intérêts industriels dans les conseils d’administration de nos institutions, et qui s'incarnent dans la présidence de notre école ; ou encore à travers des amphis obligatoires, où des anciens nous vantent leur brillante carrière et nous invitent à mettre nos compétences au service d’entreprises qui semblent souvent avoir perdu de vue le bien commun.

Tout cela, ce sont des choix. Les choix d'une institution qui désire nous faire réussir dans le système économique de nos aînés, mais peine en contrepartie à nous donner une vision des enjeux critiques de notre temps. Une institution qui voue une foi absolue à la science et à la technique, et en fait de nous les produits. Nous devenons des techniciennes et des techniciens hors sol, meilleurs alliés d’un modèle socio-économique dont les logiques seraient immuables.

Alors rappelons d'abord que non, les règles du jeu ne sont pas immuables. Les modèles économiques dont nous héritons, sont dépendants des manuels scolaires et des professeurs qui les perpétuent. Nous sommes en droit d'exiger que nos institutions, qui forment nos jeunes à penser le monde, mettent à jour leurs récits. Elles doivent s'en montrer capables ; c’est bien là que se jouent leur mission d’intérêt général, et la légitimité de leur gouvernance.

Il est impératif de débarrasser nos formations de leurs biais, pour offrir aux jeunes générations les outils et la créativité nécessaires pour changer le système. Mais ça n’est absolument pas suffisant. Le temps nous est compté, chaque dixième de degré compte. Nous nous adressons donc aussi à vous tous, diplômés cette année comme il y a trente ans.

Nous pouvons toutes et tous contribuer. Nous devons toutes et tous contribuer. Avoir pu profiter d’études supérieures payées, c’est une chance incroyable. Bénéficier aujourd’hui d’une certaine position économique et sociale, c’est aussi une chance incroyable. Une chance qui nous donne la possibilité, et même le devoir, de prendre le temps de réfléchir, de nous questionner. A quels bénéfices est-ce que j'emploie aujourd'hui ces privilèges ? Informons-nous, indignons-nous, sensibilisons, débattons, mobilisons. Dans nos vies professionnelles comme personnelles. Avec nos proches, avec nos collègues, avec de parfaits inconnus. En militant, en résistant. En changeant le système de l’intérieur ou en désertant. Engageons-nous. Pour redonner à l’environnement et à l’humain leur juste place dans nos pratiques ; pour redéfinir nos critères de succès et de prospérité ; pour créer de nouvelles formes d’organisation associatives, coopératives, participatives. Il y a partout des marges de manœuvre, partout des victoires bonnes à prendre, partout des idéaux à bâtir. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour mettre nos compétences
et notre sensibilité au service du bien commun.

Et si le découragement pointe, regardez autour de vous. Partout des gens s’éveillent, partout des gens s’engagent.

Pour l’humanité, le vivant, et l’avenir.

Polytechnique : Voies/voix d’X face à l’urgence écologique et sociale - Promotion 2016

© Crédit vidéo : Direction de la communication de l'École polytechnique

"Aujourd’hui, c’est la remise de nos diplômes ! La consécration de mon brillant parcours scolaire ! D’ici la retraite, 40 ans de carrière et de responsabilités ! Je vais réussir ma vie, être aimé, être beau, être intelligent, et puis surtout gagner de l’argent. Et puis peut-être que dans 30 ans, je serai dans ce même amphi, à la place de mes parents, à regarder la remise de diplômes de mes enfants…

- Pourtant, dans 30 ans, nous serons aussi en 2052. Les rapports du GIEC et de l’IPBES sont sans appel : nous devons résoudre en 30 ans le défi écologique. Un défi existentiel et civilisationnel dont l’enjeu est la possibilité même de soutenir la vie. Effondrement de la biodiversité, déstabilisation des écosystèmes et par ricochet de la société : migrations forcées, famines, guerres, jusqu’à la mort de millions de personnes. Avec tout ça, dans quel futur suis-je censé me projeter ?

Tu penses que tout ça n’aura aucun impact sur ta vie professionnelle ? En fait, avec tes projets de carrière tout faits, t’es un peu dans le déni non ? 

Le déni n’est plus une option. On ne parle pas d’un futur lointain et hypothétique, de « peut-être », de scénarios. On parle d’aujourd’hui. On parle de la famine à Madagascar, de la pollution en Chine, des méga incendies en Australie et au Canada, de la montée des eaux au Bangladesh, de la canicule mortelle en Inde et au Pakistan, de la déforestation en Amazonie, des inondations en Belgique et en Allemagne, de la fonte des glaciers et de températures records à nouveau en France cet été. Tout cela se passe aujourd’hui. La crise écologique est déjà bien installée. L’effondrement de la vie est déjà en cours ; y compris celui de la vie humaine. 

- Car la crise écologique n’est pas qu’environnementale, elle est aussi sociale. Notre système actuel, capitaliste et de surconsommation, celui-là même qui est responsable des dérèglements environnementaux, est aussi responsable d’inégalités inacceptables. Ces inégalités, entre pays, et entre classes sociales dans chaque pays, ne vont aller qu’en s’amplifiant à cause de la crise écologique : les plus pauvres, par manque de moyens pour s'adapter, sont les plus exposés au dérèglement climatique, et en sont aussi les moins responsables. Il paraît inimaginable que les efforts de sobriété qui seront nécessaires pour tenter d’endiguer la crise environnementale soient portés par ceux qui, en France aussi, ont déjà du mal à finir les fins de mois. Par ceux pour qui davantage de “sobriété” signifie une perte de confort intolérable. Malgré les multiples appels de la communauté scientifique, malgré les changements irréversibles d’ores-et-déjà observés à travers le monde, nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine.

- Et moi dans tout ça, je fais quoi ? On m’a dit que la société avait investi en moi, avait investi dans ma formation à l'École, pour que je mette mes connaissances et mes compétences au service du bien commun. On m’a dit qu’en tant que future élite de la France, j’allais être amené.e à exercer des postes dits “de haut niveau”. Et on m’a dit que c’était bien, parce que j’aurais ainsi l’opportunité de me faire entendre, de changer les choses rapidement, en imposant des décisions que je trouve vertueuses et éclairées. Et que finalement, j’aurais beaucoup d’impact. Est-ce que c’est vrai tout ça ? Je ne sais pas. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’en étant à un poste “de haut niveau”, mon potentiel de nuisance environnementale sera bien plus élevé que la moyenne. Et je dois dire que certains de nos anciens l’ont illustré et l’illustrent encore aujourd’hui.

- Nous ne pouvons pas ignorer l’urgence écologique et sociale, et moins encore la responsabilité que nous pouvons avoir dans son aggravation, comme dans les réponses à y apporter. Alors saisissons cette responsabilité, maintenant. Ce sombre tableau n’est pas une fatalité.

- OK. Alors, que faire de ces 40 prochaines années ? Faut-il sauter le plus vite possible hors du wagon 1ère classe pour ne pas dérailler ? Pour changer de cap, quels autres rêves que ceux de mes parents puis-je construire ?

- Aujourd’hui, il est urgent d’accepter d’ébranler toutes les certitudes qui ont pu nous animer jusqu’à présent. Il est urgent d’entamer un virage radical, de sortir des rails sur lesquels nous installent insidieusement notre diplôme et notre réseau. Il est urgent de renoncer à notre petit confort, un confort certes rassurant, mais délétère. Car résoudre des problèmes à la marge sans jamais remettre en cause les postulats de base du système dans lequel nous vivons ne suffira plus. 

Aussi devons-nous questionner les mots que nous utilisons pour leur redonner du sens : le flou artistique de ces indicateurs de “soutenabilité” ne devrait-il pas me faire suspecter une certaine malhonnêteté intellectuelle ? Le mot "transition écologique" est-il utilisé comme une expression à la mode galvaudée ou comme un vrai concept porteur de changement ? Perdons cette illusion : on ne négocie pas avec les limites planétaires, même à renfort d’entourloupes sémantiques ou de greenwashing. 

Il est plus que crucial d’élargir nos champs de vision, d'élargir nos champs d’écoute, de regarder le mur dans lequel nous fonçons, et de réfléchir aux trajectoires que nous pouvons prendre pour l'éviter. Il est plus que crucial de critiquer, dénoncer, d'oser s'opposer, de comprendre les blocages qui nous ont jusqu’à maintenant empêchés d’atteindre le niveau d’ambition nécessaire face à l’urgence écologique. Ces blocages sont d’ordre organisationnel, structurel, systémique : l’incapacité des banques à financer la transition est-elle simplement le résultat de quelques mauvais indicateurs ou révèle-t-elle au contraire l'incompatibilité fondamentale entre nos objectifs climatiques et la recherche constante de rendement, de rentabilité ? Ces blocages, enfin, sont aussi personnels, et c’est aussi sur ces biais que nous devons essayer de mettre le doigt.

- Notre formation nous permet d’aborder la situation avec un regard scientifique et critique. Mais elle favorise deux biais majeurs dont nous devons prendre conscience. Le premier est lié à notre posture d’ingénieurs, qui nous pousse à vouloir trouver à tout prix des solutions techniques aux problèmes. La technologie à elle seule, que cela soit bien clair, ne nous sauvera pas. Et rien ne nous garantit que son utilisation ne nuira pas. Pour relever ce défi systémique, remettons de l’humain et du vivant dans le champ trop longtemps aseptisé des sciences techniques. Ouvrons-nous à d’autres disciplines, comme les sciences sociales, les sciences politiques, l’histoire et la philosophie mais aussi des savoir-faire dont notre génération est la première à ne pas avoir hérité du tout, en maraîchage, mécanique, construction, soin aux autres, toutes ces choses qui salissent les mains en construisant et réparant plutôt qu’en détruisant et aliénant. 

Le second biais est que cette formation élitiste a pu nous laisser croire que parce que nous avions réussi un des concours d’ingénieur les plus difficiles, nous serions les plus intelligents, les plus capables, les plus à même de résoudre tous les problèmes qui se présenteraient à nous, nous coupant du même coup de la réalité sociale de notre pays. 

Redescendons sur terre. Taisons-nous, deux minutes, pour une fois, et écoutons. Écoutons véritablement. Les problématiques que nous considérons essentielles, sont-elles celles auxquelles est confrontée quotidiennement la majeure partie de la population française? Les solutions que nous proposons, et que nous pensons bonnes, ont-elles du sens, sont-elles vraiment justes pour toutes et tous?

Repartons du “terrain”, soyons à l’écoute des femmes et des hommes qui nous entourent, et qui ont beaucoup plus à nous apprendre que ce que nos prédécesseurs ont bien voulu entendre d’elles et eux. Si leur voix n’est pas audible dans le débat public, contribuons aussi à la faire entendre, pour que la démocratie reste saine et vivante. Les réponses à l’urgence environnementale et sociale seront citoyennes ou ne seront pas.

- Alors, concrètement, face à l’urgence écologique, que pouvons-nous faire ? Déserter, comme l’ont proposé des camarades d’Agro, ou agir de l’intérieur ? 

- Certaines et certains d’entre nous ont choisi la recherche, fondamentale ou appliquée, pour que les trajectoires techniques et sociales se basent sur les meilleures connaissances.

- D’autres servent la puissance publique, ou s’engagent en politique, en espérant impulser et mettre en œuvre des politiques publiques à la hauteur des enjeux.

- D’autres encore ont créé ou rejoint des startups pour passer à l’échelle des solutions techniques, parce qu’il y en a et, malgré la vigilance qu'il faut avoir à leur propos, elles seront utiles. 

- D’autres ont rejoint de grandes entreprises, convaincus qu’il faut les infiltrer pour inscrire la lutte pour l’urgence écologique au cœur de leur stratégie. 

- Certains ont choisi les think tanks. 

- D’autres ont pris des engagements associatifs, personnels, ont rejoint des groupes de réflexion radicaux. 

- Certains, enfin, se sont engagés dans des parcours de rupture, en choisissant de renverser la table et d’aller explorer de nouveaux horizons. 

- Dans toutes ces voies, la remise en question constante est absolument nécessaire. Nous n’avons plus le temps de nous donner bonne conscience, ni de nous voiler la face. Nous n’avons plus le temps de choisir des voies de non action. Nous n’avons surtout plus du tout le temps de contribuer à l’aggravation de la situation.

- En parallèle de nos engagements professionnels ou associatifs, nous pouvons montrer l’exemple en adoptant un mode de vie plus sobre, compatible avec le respect des limites planétaires et le faible budget carbone qu’il nous reste à émettre. Cela requiert de changer véritablement nos habitudes : voyager autrement, en limitant drastiquement l’avion ; manger autrement, en arrêtant la viande à tous les repas ; se loger autrement, dans moins de mètres carrés… Cette vie plus sobre, ce n‘est pas une vie plus triste ! Au contraire : c’est un retour les pieds sur terre, une opportunité pour ne plus confondre surconsommation et bonheur, multiplicité de choix et liberté. Une opportunité pour renforcer nos relations aux autres, et substituer au capital économique et financier la richesse des liens humains. 

- Nous sommes déterminés, mais nous ne pouvons pas agir seuls : nous ne pourrons relever ce défi qu’avec l’implication active des décideurs et décideuses économiques et politiques, dont une partie est issue de cette école. Alumnis polytechniciens et polytechniciennes, nous nous tournons vers vous. Faites véritablement vôtre cette posture de doute et de remise en question. Cette responsabilité est aussi la votre. Rappelez-vous-en : notre objectif doit être de servir l’intérêt général.

- Alors, que va-t-on faire de ces 40 prochaines années ? Nous voulons partager avec vous notre envie de rêver à quelque chose de nouveau. On ne résoudra pas le défi écologique par le déni ou l’inaction. 

Ayons ensemble le courage d’oser. Osons questionner le paradigme actuel, sortir des sentiers battus, osons transformer les modèles et imaginer de nouveaux futurs, osons construire un avenir différent de celui qui semble tout tracé aujourd’hui. Un avenir soutenable, un avenir juste, un avenir heureux. La société que nous voulons n’est pas une société plus dure, plus triste, de privation subie ; c’est une société plus sereine, plus agréable, de ralentissement choisi.

Même si la tâche ne sera pas aisée, c’est une perspective profondément enthousiasmante. Une perspective qui nous donne aujourd’hui envie d’essayer, d’essayer de réfléchir avec un esprit scientifique ouvert et de co-construire avec détermination, toujours dans une recherche profonde et vraie d’humilité et d’écoute. Cher.e.s camarades, engageons-nous pleinement, devenons ensemble les polytechniciennes et polytechniciens acteurs et actrices d’un futur soutenable, et surtout, d’un futur désirable. Et engageons-nous maintenant ! Car il est déjà si tard… "

Polytechnique : Mobilisation collective pour une urgence écologique et sociale - Promotion 2017

© Crédit vidéo : Direction de la communication de l'École polytechnique

Chers parents, chers camarades, chers amis,

Pour nombre d’entre nous, les années à l’X et celles qui ont suivi ont été accompagnées de questionnements, de prises de conscience ou d’engagement nouveaux. C’est pourquoi aujourd’hui nous tentons avec nos mots de porter une voix qui est issue de nombreux échanges avec nos camarades, que nous remercions du fond du cœur pour leur disponibilité jusqu’à la, traditionnelle, dernière minute.

L’X c’est une bulle. Un jeu de rôle grandeur nature où plus t’as de pulls d’asso plus t’as de points. On parle peu de ce qu’il se passe dehors, après tout, c’est normal ! le RER B c’est le bout du monde.

Aujourd’hui nous quittons notre bulle, où l’on organisait des comédies musicales à 200, où le réseau internet était géré par les élèves, où l’argent était rarement un sujet, pour débarquer en 2022, en France, dans un monde pétri d’inégalités croissantes et d’injustices face à une urgence climatique sans précédents.

Parce que c’est notre remise des diplômes, il aurait été tentant, plaisant même de tailler le bout de gras sur nos bons et mauvais souvenirs du plateau. Il y en a des choses à dire, sur cette vie de campus !

D’abord, des choses très positives : une formation académique riche et variée, de nombreux professeurs et encadrants, une vie associative foisonnante et des valeurs issues du cadre militaire qui modèlent la vie à l'X. J’ai nommé : la cohésion et le devoir d’exemplarité.

Ensuite, des choses très paradoxales : on nous a enseigné les théories économiques néolibérales, tout comme la physique du climat. On nous a forcé au silence lorsque l’image de l’Ecole était en jeu tout en nous encourageant à nous engager. On nous a bombardé de présentations de cabinets de conseils tout en nous vantant le service de l’État.

Et enfin, des choses clairement améliorables : le manque de diversité sociale, le rapport au genre et à la sexualité, pire, l’omerta sur les agressions diverses qui ont lieu sur ce campus. Aujourd’hui, alors que nous quittons notre école, nous souhaitons faire un pas en avant, et pas seulement regarder vers l’arrière.

Là, parents comme élèves, vous nous regardez tous du fond de vos chaises en vous disant, « comme d’habitude, un discours culpabilisant, avec les mêmes rengaines contradictoires qu’on entend tout le temps :

- Cesse de manger de la viande rouge

- Ne prends plus l'avion

- Ni la voiture

- Achète tes fringues sur Vinted

- Mais Vinted, ça encourage la surconsommation

- Bref... »

Et vous auriez raison, la réponse ne réside pas uniquement dans les comportements individuels. Plus encore, la question écologique ne peut être dissociée de la question sociale.

Pourtant, les partisans d’une croissance verte effrénée s’échinent à nous faire croire que la marche du monde est un problème d’optimisation solvable par des technocrates dans une tour de verre.

Aujourd’hui nous recevons un diplôme chargé d’Histoire, qui nous assure une légitimité à vie dans le monde professionnel et ce, qu’on le veuille ou non, qu’on le mérite ou non. Il nous sera toujours plus facile d'obtenir un prêt d’une banque, de gagner un revenu plus que décent, d’avoir le travail que l'on souhaite, voire qu’il soit épanouissant. Nous avons la chance d’être libre de choisir notre voie.

En tous cas plus que d’autres qui n’ont pas eu nos privilèges, qui ne sont pas nés aux mêmes endroits. Comme certains, je suis née à Paris, comme d’autres j’ai été à Louis le Grand, comme nous tous, j’ai intégré Polytechnique. J’ai pris des raccourcis, pendant que l’on répétait à d’autres qu’il suffit de le vouloir, de travailler plus dur, pour le mériter vraiment.

En partant de ces constats, nous pensons toutes les deux, avec bien d’autres, qu’il est essentiel de commencer par se poser les bonnes questions. Peut-être, d’abord, s’inspirer de nos grands anciens, ce fameux Vaneau, par exemple, qu’on a érigé en figure emblématique de l’École en omettant trop souvent qu’il se battait contre l’ordre établi et pour une société dont il rêvait.

Surtout, ensuite, se regarder dans un miroir, dans le blanc des yeux et se demander si nous essayons vraiment de porter dans le monde réel ces valeurs que l’on brandissait à l’X, d’exemplarité et de cohésion, ou si nous cédons à la facilité d’un quotidien sans problème et aux sirènes d’une société individualiste où le moi est roi. Parents, nous sommes persuadées que vous aussi avez un miroir chez vous.*

Nous ne désirons absolument pas prôner un chemin plutôt qu’un autre, car nous sommes persuadées que le meilleur moyen d'engager un combat c’est de choisir ses armes. Pour augmenter sa puissance d’agir, disait Spinoza, il faut trouver sa joie.

Alors disons non, révoltons-nous, partons si nous pensons devoir partir, battons-nous si nous pensons devoir nous battre. Encore une fois, n’oublions pas la légitimité apportée par notre diplôme, n'oublions pas que nous pouvons l’utiliser pour faire bouger les lignes. La jeunesse, dont les X, a déjà commencé un combat en signant massivement le manifeste pour un réveil écologique par exemple.

Au sein de la promotion s’ajoutent beaucoup d’autres initiatives personnelles :

- Coller des affiches féministes

- Écrire sur la démocratie

- S’engager chez Extinction Rébellion

- Passer 6 mois dans un camp de réfugiés

- Se spécialiser dans les énergies renouvelables, ou en politiques de l’environnement.

En bref, il n’y a vraiment pas besoin d’être exemplaire pour se lancer. Mais il faut commencer quelque part, toujours se remettre en question et surtout garder à l’esprit qu’à la fin, c’est la société tout entière qu’il faut repenser.

Aujourd’hui nous tous disons au revoir à ces murs et à cette école qui nous a fait grandir de multiples façons. Alors ce soir on veut se demander pourquoi et pour quoi.

Ces questions on ira les poser demain, dans les entreprises, ou sur les chemins de traverse qu’il nous reste à défricher. On les portera en étendard face aux froides analyses coût/bénéfice, face aux chiffres qui remplacent l'humain, face au cynisme de ceux qui préfèrent foncer dans le mur.

On pensera à nos lointains et plus seulement à nos prochains. On changera nos métiers d’ingénieurs pour ne plus les dresser contre la vie mais plutôt apprendre d’elle. On fera au mieux pour vivre de nos valeurs, de nos amitiés, d’art et de fête. De nos questions et de nos luttes aussi.

On s’engagera pour construire un monde dans lequel on peut continuer tous les soirs à s’opposer sur le sens de la vie, en ayant les moyens d’en parler tous ensemble.


*Phrase non prononcée à l’oral car faisant partie d’une ancienne version, mais nous souhaitons garder cette idée que notre génération n’est ni la seule concernée, ni la seule à pouvoir faire quelque chose, notamment au vu des positions actuellement occupées par les personnes de la génération de nos parents par rapport aux nôtres.

Polytechnique : Témoignage de Benoit Halgand, engagé face à l’urgence écologique - Promotion 2017

© Crédit vidéo : Direction de la communication de l'École polytechnique

Chers camarades,

Ceux qui me connaissent le savent : j’ai une conscience aiguë de la crise écologique en cours, je constate avec gravité l’effondrement massif du vivant, nos incapacités structurelles à faire face au péril climatique, ainsi que les vives tensions traversant nos sociétés. Ceux qui me connaissent le savent aussi : je ne capitule pas face à notre avenir que l’on peut juger effrayant, mais je m’engage ardemment pour tenter de le préserver.

Vous l’aurez compris, je vais vous parler ce soir des choix que j’ai posés pour agir face à ces bouleversement planétaires. Ce témoignage fait suite à plusieurs prises de parole qui ont eu lieu sur ce thème pendant la soirée. Cela peut vous sembler une redite. Je vais parler de moi, beaucoup d’autres camarades auraient pu exposer leurs choix. Mais on ne pouvait tout de même pas finir sur ce thème par ces belles paroles de Monsieur Pouyanné. J’en profite d’ailleurs pour le remercier de nous avoir permis de lutter et d’avoir fini par abdiquer.

Ces mobilisations collectives ne datent pas d’hier. Quelques mois après notre arrivée sur le campus, dès 2018, nous étions plus de 200 de notre promotion à signer le Manifeste étudiant pour un réveil écologique. Dans ce texte, nous affirmions notre refus de participer aux destructions sociales et environnementales en cours et notre détermination à changer un système économique en lequel nous ne croyons plus.

J’ai pour ma part fait le choix de rejoindre le collectif à l’origine de ce manifeste. J’ai décidé de profiter mes années d’études pour faire de cette lutte une priorité. Avec d’autres camarades, nous avons eu l’occasion de porter ce message auprès de nombreux décideurs économiques, dirigeants d’entreprises ou cadre supérieur. Un certain nombre était d’ailleurs issu des rangs de notre école. J’ai longtemps été habité par de la colère ou du dépit après ces échanges, constatant l’insouciance de ces personnes et le décalage important entre leurs promesses et leurs actes.

J’éprouve aujourd’hui davantage de la compassion pour cette génération aux manettes. J’ai rencontré des personnes stressées, déconnectées de la réalité, et des personnes qui sont en train de réaliser, plus ou moins consciemment, qu’elles se sont trompées. Que le modèle de réussite qui était le leur, leur belle carrière, leur salaire vertigineux, leurs nombreux biens matériels et leurs vacances à l’autre bout du globe, sont aujourd’hui mis en accusation par la crise écologique. Alors qu’ils cochent tous les codes de réussite de la société croissanciste, productiviste et consumériste dans laquelle ils ont évolué, ils n’ont d’autre choix que de faire face aujourd’hui à la fin de ce monde. 

Arrivant à la fin de mes études, j’aurais très bien pu rejoindre ce monde capitaliste que j’avais eu l’occasion de côtoyer. J’aurais pu sans difficulté accepter un poste qui me donnerait accès à tous les privilèges du polytechnicien : l’argent, le pouvoir, le prestige… J’aurais pu croire à ces promesses de RSE et de croissance verte. J’aurais pu croire que j’allais changer les choses de l’intérieur… avant que ce ne soit le système qui change mon intérieur. Je souhaite bon courage à ceux qui tentent cette voie, mais personnellement, je ne souhaitais pas, je ne souhaite pas faire ce choix et être un pion utile du système. 

J’ai donc décidé de vivre une année où je pourrais mettre en acte mes convictions écologiques, de manière concrète. J’ai choisi de ralentir, prendre du recul sur ce monde et sur mon futur, méditer, contempler, réfléchir. Je suis parti m’installer dans une abbaye pour suivre une année de formation théologique. Et je suis très heureux d’avoir pris ce temps d’arrêt.

Je sors de cette année plus convaincu que jamais qu’il va nous falloir innover. Non pas à la manière des greentech ou d’autres technologies que le capitalisme et ses startups qualifient de vertes, mais innover dans notre manière de vivre. Nous allons devoir quitter nos fantasmes sur la technique comme unique et magique source de notre salut face aux périls écologiques. Pour au contraire oser construire un nouveau mode de vie autour de nous. Sortir de cet individualisme, de ce consumérisme, de cette course au toujours plus, pour oser le partage, la sobriété, la lenteur.

Je suis sorti de cette année convaincu que si nous voulons changer les choses, nous ne pouvons pas nous permettre de rester entre nous, diplômés de grandes écoles, avec notre vision de technocrates que nous voulons imposer à la population. Nous vivons dans une bulle. 20% des adultes en France ont un diplôme supérieur à un BAC+2. Quelle est la part des diplômés dans notre entourage ? 95% ? 99% ? Je ne souhaite plus faire partie de cet entre-soi. 

Je crois enfin que nous allons devoir sortir de la voie du rationalisme exacerbé dans laquelle nous excellons. Nous ne pourrons pas appréhender correctement les transformations à venir si nous restons au stade des idées, si nous voyons le monde à travers des chiffres et des rapports. Nous devons incarner ces changements et écouter notre cœur. Nous devons suivre ce qu’on a dans les tripes, explorer des chemins spirituels et accueillir nos émotions. Exprimer nos peurs, nos doutes, nos désespoirs. Lutter dans la joie et dans l’espérance.

Pour toutes ces raisons, j’ai décidé que je quitterai ces mégapoles mondialisées où l’individualisme et l’indifférence côtoient pauvreté et pollution, pour m’installer dans un territoire à taille humaine. J’ai le projet de vivre dans un collectif engagé auprès des délaissés du système, des personnes exilées, des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. Nous tenterons d’expérimenter le partage et la sobriété, l’accueil et la relation. En parallèle de notre vie ensemble, on pourrait garder notre engagement dans la société. Nous nous investirons dans des associations, les services publics et l’économie locale. Certains feront de la recherche, d’autres de la politique ou encore de l’agriculture. 

Cela demandera quelques sacrifices mais je suis persuadé que cette vie nous rendra plus heureux, et qu’elle nous permettra de nous engager en cohérence, en bâtissant la société de demain. Quand on ose poser un regard lucide sur le péril climatique et la fracture sociale en cours, on ne peut que prendre des risques. Le pire serait de continuer comme si de rien n’était.

Première publication le 28 juin 2022 sur :
https://blogs.mediapart.fr/diplomes-polytechnique-ecologie/blog/280622/polytechnique-urgence-ecologique-et-sociale-trois-promotions-appellent-s-engage?utm_source=20220628&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83

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Universidad de la Tierra : autonomía, saberes y rebeldías

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Universidad de la Tierra : autonomía, saberes y rebeldías

La idea generalizada que tenemos de la Universidad es la de un lugar en el que estudiar durante un tiempo y acabar consiguiendo un título que certifica el supuesto aprendizaje obtenido. La continua mercantilización de la enseñanza promovida por el sistema capitalista también nos lleva a pensar en la Universidad como un lugar excesivamente caro, al que solo algunos tienen la posibilidad de ingresar y en el que, finalmente, recibes un título que ya no te sirve para trabajar (y que, a veces, tampoco refleja los conocimientos adquiridos). Si pensamos en alguna facultad concreta acabamos pensando en un edificio grande, de hormigón gris, quizás adornado con un césped y formado por las últimas tecnologías (en lo que sea). A veces también pensamos en facultades que se caen a pedazos y aulas masificadas. Esto es exactamente lo que no quería el Doctor Raymundo Sánchez Barraza. El Centro Indígena de Capacitación Integral – Universidad de la Tierra (CIDECI-UniTierra) se plantea como todo lo contrario a esa concepción capitalista del aprendizaje que tan asumida tenemos. Por eso es imposible acercarse al proyecto (hoy realidad tangible) sin que se derrumben los esquemas aprehendidos. No se concibe entender el Sistema Indígena Intercultural de Aprendizaje sin la destrucción de lo establecido. Este proyecto comienza a andar en 1983, sin embargo, no es hasta 1989 que se define como autónomo. En ese año es auspiciado por el obispo de San Cristóbal de las Casas, Samuel Ruiz, conocido por su labor indigenista y de apoyo a los pueblos originarios del Estado de Chiapas. Y por ser obispo de la ciudad durante más de 40 años (hasta que el poder consiguió alejarlo de allí para que dejara de provocar fallas en el sistema). Coordinado en todo momento por Raymundo Sánchez Barraza, quién también regala su vida a la causa indigenista. En 1994 los ideales zapatistas se entroncan con los del CIDECI y no se entiende su filosofía sin ellos. Según su coordinador (quien suelta una carcajada al momento de dirigirnos a él como Rector) la denominación de Universidad es un acto de rebeldía, una respuesta a las burlas del sistema al referirse a ellos y al no considerar la capacitación que allí se recibe como un aprendizaje real. Y es que UniTierra ni es oficial ni busca el reconocimiento oficial, sino el de los pueblos y las comunidades indígenas. Indudablemente, ese ya lo tiene. Entonces “¿por qué no podemos tener el prestigio de las universidades?”, se pregunta Raymundo Sánchez.

Estructura y organización

Niños y niñas venidos de comunidades indígenas, a partir de los 12 años y con independencia de que sepan leer o escribir o de que conozcan el idioma castellano. Este es el perfil de los y las alumnas que ingresan al centro. No hay un número fijo de estudiantes en cada momento, ya que si lo normal es que se tomen cursos de (más o menos) 9 meses, jóvenes van y vienen según su disponibilidad. Pueden tomar 15 días de curso, un mes o varios años. Dependiendo de la distancia entre su comunidad y el centro, quienes allí estudian estarán internos o externos. Esto es, quienes vienen de comunidades más lejanas serán internos y harán uso de los albergues con los que cuenta el centro mientras que quienes residan en comunidades circundantes estarán externos, yendo y viniendo a sus cursos a diario. Así como el número de alumnos es variable en cada momento, lo que si se mantiene es la proporción de hombres y mujeres. Sobresalen los chicos sobre las chicas. En número, claro. También son constantes los y las estudiantes que desconocen el castellano al llegar a sus cursos. Las lenguas que predominan son el tzotsil, el tzeltal y el ch’ol; aunque son muchas más las que se cruzan en los talleres del CIDECI. Los profesores conocen esas lenguas, aunque no siempre hablan a los y las alumnas en su lengua materna, “porque si no nunca aprendemos” como dice uno de los chicos que allí desarrolla su actividad.

Los saberes que se imparten van desde cursos de tortillería y panadería (con los que se abastece el comedor en el que colaboran los y las estudiantes) hasta cursos de herrería, electricidad, carpintería y alfarería. Es gracias a la aplicación de estos aprendizajes que el centro es lo que es hoy en día, ya que ha sido totalmente construido por quienes allí estudian. Igual que la mantención del mismo. Un ejemplo, las cortinas se hacen en el taller de telares, y luego se cosen y preparan para su uso en el taller de corte y confección y luego, en el caso de que queramos que las cortinas lleven algún motivo dibujado este se hará en el taller de pintura. Así cualquier cosa que veamos en el vasto terreno del CIDECI habrá sido construida gracias a los saberes que allí se han transmitido. Todo esto sin dejar a un lado la música, mecanografía o computación, donde además se practica el arte de arreglar con las manos todos los instrumentos necesarios para estas actividades. Junto con estos saberes hay unas cuantas áreas de estudios como son: Derecho Autónomo, Arquitectura Vernácula, Agroecología, Hidrotopografía, Administración de Iniciativas y Proyectos comunitarios, Interculturalidad o Análisis de los Sistemas – Mundo. Al terminar su estancia en la UniTierra, los y las alumnas reciben apoyo en un proyecto para aplicar sus conocimientos en la comunidad de la que provienen. Así se les surte de conocimientos, asistencia y las herramientas necesarias para echar a andar sus ideas en sus comunidades. Unas ideas que luego repercutirán en sus compañeros más cercanos facilitándole o mejorándole sus vidas en comunidad ¿Cómo no considerarla Universidad, cuando quizás sea la más digna de todas?

Instalaciones y autonomía

La autonomía se respira en el aire de la Universidad de la Tierra. En el taller de zapatería se hacen los zapatos para los y las alumnas, el huerto ofrece las verduras que se cocinarán en el comedor, pero también las que sirven de alimento a los animales de la granja (conejos, borregos, ocas, cerdos, gallinas y pavos). Trabajar en el mantenimiento de estas instalaciones es la reciprocidad que ofrecen quienes allí estudian a cambio de la gratuidad lugar. Y a su vez, todo lo producido sirve para abastecer a las personas que allí residen. ¿Y la luz y el agua? Evidentemente, no vienen por parte del gobierno o de alguna institución oficial ya que lo único que se ha recibido por parte de estos ha sido un cruel hostigamiento. La CFE (Comisión Federal de Electricidad) ha merodeado por la zona de manera amenazante en busca de pagos. Eso se supera gracias a la instalación de generadores de electricidad. El agua que abastece a todos y que corre por el sistema de riego que hay instalado proviene de un profundo pozo cavado en sus terrenos. Autonomía total.


NewImageCada jueves los y las estudiantes se reúnen aquí para tratar temas de actualidad, movimientos sociales o problemas que se planteen en sus comunidades.

Lejos de tener carencias, la Universidad de la Tierra se muestra como un paraíso. Las instalaciones y su integración en la naturaleza distan mucho de lo que podemos pensar de esta universidad sin zapatos, como se autodenomina. Además de las decenas de talleres (entendidos como lugar físico), del comedor y de las construcciones que guardan los generadores; son varias las salas para seminarios y aulas que se prestan a otros movimientos sociales. Una colorida capilla se presta a la realización del culto y un enorme auditorio se abre a grandes celebraciones y tiene siempre las puertas abiertas al EZLN, quien celebró en dicho auditorio la Clausura del Primer Festival de las Resistencias y las Rebeldías Contra el Capitalismo este pasado mes de enero.

Filosofía e inspiración

Además de inspirarse en el EZLN y el obispo Samuel Ruiz, este centro por y para indígenas se asienta sobre los principios de Imanuel Wallerstein y de Iván Illich. Del primero agarran su análisis sobre el capitalismo basado en conceptos como Sistema – Mundo. Es de Iván Illich de quien beben sus concepciones acerca de la enseñanza, el aprendizaje y la desescolarización. Se olvidan del tipo de enseñanza impuesto por el capitalismo al que hacíamos referencia al comienzo de este texto y priman el aprendizaje en relación con las personas. Cómo diría Illich en La sociedad desescolarizada:

  • Los profesores de habilidades se hacen escasos por la creencia en el valor de los títulos. La certificación es una manera de manipular el mercado y es concebible sólo para una mente escolarizada. La mayoría de los profesores de artes y oficios son menos diestros, tiene menor inventiva y son menos comunicativos que los mejores artesanos y maestros.
  • La instrucción libre y rutinaria es una blasfemia subversiva para el educador ortodoxo. Ella desliga la adquisición de destrezas de la educación ‘humana’, que la escuela empaca conjuntamente, y fomenta así el aprendizaje sin título o permiso no menos que la enseñanza sin título para fines imprevisibles.

Dos citas muy prácticas para entender la filosofía del CIDECI que se basa en tres principios inquebrantables: “aprender haciendo”, “aprender a aprender” y “aprender a ser más”. Estos principios ejercen de guía principal a la vez que sirven de bola de demolición contra lo ya impuesto en materia de educación por el sistema actual. Una red entretejida por y para los indígenas de la mano del “Doc” Raymundo. “Seguir haciendo, seguir formando sin perder de vista las directrices del EZLN y de los pueblos originarios”. Porque la Universidad de la Tierra es por y para ellos.

Publicado en el blog
https://silviadistopia.wordpress.com/2015/03/05/autonomia-y-aprendizaje-en-cideci-unitierra/,
5 de marzo de 2015.

Para más información sobre los seminarios organizados por la Universidad de la
Tierra consulta las transmisiónes en vivo en el sitio:

http://seminarioscideci.org/
https://www.youtube.com/watch?v=XRzTfaieltA

À propos de l’Université de la Terre et des écoles zapatistes

 

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En complément à l’article Universidad de la Tierra : autonomía, saberes y rebeldías, nous publions ci-dessous un texte de Christine Lapostolle, issu de longues heures de discussion avec Jérôme Baschet. Il nous a été transmis par ce dernier et porte également sur les écoles mises en place par les communautés autonomes zapatistes du Chiapas. (La Rédaction du blog)

NewImage« Il s’agit bien d’un projet politique, en rupture avec les formes de vie et d’expérience propres au système institutionnel et à la société capitaliste » (Jérôme Baschet)
« Spécialiste ? 
— Pourquoi ne souhaites-tu pas que cet échange soit transcrit sous forme d’entretien ?
— Je ne supporte pas la position du « spécialiste », j’ai horreur de passer pour celui qui sait. »

L’Université de la Terre (aussi appelée Cideci : Centre indigène de formation intégrale) naît dans la mouvance de l’action de l’ancien évêque du Chiapas Samuel Ruiz. Samuel Ruiz est un des défenseurs de la théologie de la libération qui s’est propagée dans plusieurs pays d’Amérique latine à partir des années 1960. La théologie de la libération a été très importante dans l’expérience des communautés indiennes qui ont ensuite formé l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), notamment l’idée de l’auto-organisation des opprimés, l’idée qu’il s’agit moins de porter la bonne parole que de demander et d’écouter, selon la méthode dite du tijwanel (faire sortir ce qu’il y a dans le cœur de l’autre) — il s’agit de promouvoir une circulation horizontale de la parole dans des assemblées, de recueillir la parole présente dans le peuple pour la rassembler et la redistribuer. Tu retrouves cela chez les zapatistes : ne plus être assisté parce qu’on est pauvre, organiser sa vie à partir de ses richesses propres, aussi minimes soient-elles en termes d’argent, à partir de l’expérience qu’on a et des ressources de la communauté.

Concrètement, l’Université de la Terre est implantée à l’extérieur de San Cristóbal de Las Casas, à quelques kilomètres, au pied des montagnes. C’est un lieu magnifique. C’est la première chose qui frappe. La beauté du lieu. Tu arrives tu vois ce site, ces bâtiments au milieu de la végétation. C’est plein de verdure, entretenue avec soin. Des fleurs partout, des peintures murales...

Les bâtiments ont été construits par ceux qui travaillent là, progressivement, au fil des années, avec les moyens du bord, avec des dons, de l’argent gagné, notamment celui des cultures au milieu desquelles se trouve l’Université.

À l’Université de la Terre sont surtout organisés des apprentissages pratiques : agriculture, électricité, informatique, mécanique... Il y a aussi la fabrication (relativement artisanale) de livres. On cherche des façons de faire adaptées à une économie locale ; il s’est par exemple développé ces derniers temps une unité de recyclage des carapaces de crevettes : la crevette est pêchée en abondance sur la côte Pacifique, à partir des carapaces de crevettes on obtient un matériau qui peut servir à toutes sortes usages — mais je ne connais pas bien la question !

L’Université de la Terre est ouverte à tous ceux qui veulent apprendre, sans exigence de diplôme ou de niveau. Tout le monde a le niveau ! Elle sert aux jeunes Indiens des communautés zapatistes — elle est d’abord conçue comme un soutien aux zapatistes, mais il y a aussi des jeunes d’autres communautés indiennes. Et il y a des gens de San Cristóbal qui viennent. Tu viens là parce que tu veux te former dans tel ou tel domaine. Il n’y a pas de durée établie, les étudiants habitent sur place, il n’y a pas d’examens, de diplômes, c’est à chacun de savoir quand il a acquis ce qu’il était venu chercher. On peut repartir et revenir autant de fois qu’on en sent le besoin. La formation est à la fois libre et personnalisée. Il y a des formateurs, mais les gens s’entraident et avancent aussi comme ça. L’idée est celle d’une « communauté ouverte d’apprentissage » : même si certains ont plus d’expérience dans tel ou tel domaine, on construit ensemble des apprentissages, ce qui diffère de la conception d’une éducation dispensée par certains à d’autres qui la reçoivent.

Il n’y a pas d’enseignement théorique à proprement parler, mais beaucoup de rencontres sont proposées et tout le monde est convié. Les zapatistes y ont organisé plusieurs grands rassemblements ces dernières années, avec des gens qui venaient de tous les coins du monde : la rencontre organisée en 2007 après la mort de l’historien André Aubry a eu lieu là ; cinq mille personnes se sont retrouvées pour le Festival de la Digne Rage en janvier 2009... L’Université de la Terre se définit comme un « espace autonome », en rébellion contre les structures de l’État. Et lors d’une des rencontres organisées par l’EZLN, Marcos l’a déclarée « territoire zapatiste » (ce qui devrait constituer une protection vis-à-vis des possibles attaques gouvernementales).

C’est une sorte d’interface entre les communautés zapatistes et le reste du monde. Elle n’est bien sûr pas reconnue par le gouvernement mexicain. Elle n’a pas fait l’objet d’attaques frontales, mais elle subit pas mal de harcèlement, notamment via la Commission fédérale d’électricité, qui veut intenter un procès pour des dettes supposées alors que l’Université de la Terre est maintenant équipée de son propre générateur d’électricité. Les étudiants doivent se relayer jour et nuit pour des tours de garde à l’entrée. Récemment, des camions de l’armée fédérale sont venus patrouiller aux abords de l’Université de la Terre ; les soldats sont même descendus à pied avec leurs armes à la main, ce qui a suscité beaucoup d’inquiétude.

Je le redis, un des points importants est la beauté des lieux, une beauté simple, liée à la nature, au site et à la végétation, et à la gentillesse des gens, au sens communautaire. Tout le monde est frappé par l’accueil qu’on y reçoit. Évidemment en France quand tu dis « communauté » cela évoque tout de suite de vieilles images post-soixante-huitardes. Mais là, la référence, c’est la communauté indienne, avec le sens du collectif et de l’entraide qui la caractérise.

En dehors des grandes rencontres, tu as deux types de séminaires fréquentés à la fois par les étudiants, et aussi par des gens de la ville, par des sympathisants venant d’autres parties du Mexique et d’autres pays — tous ceux qui le souhaitent peuvent venir.

En outre il y a très souvent des invités de passage qui font des conférences ou exposent leur expérience de lutte dans leur pays. Les étudiants préparent et commentent après coup, ce qui est une occasion d’apprentissage sur telle partie du monde, sur certains problèmes qui nous concernent tous...

Le premier type de séminaire a lieu une fois par semaine. C’est le jeudi soir, ça commence à cinq heures, le temps qu’on se dise bonjour, qu’on prenne un premier café, ça fait plutôt six heures et là on discute parfois jusqu’à onze heures du soir. L’objet de ces séminaires, c’est l’actualité politique, chiapanèque, mexicaine et internationale, la lecture de la presse. Chaque semaine on distribue à tout le monde un stock d’articles, une cinquantaine de pages, les gens lisent, et on discute des articles la semaine suivante. Ce n’est pas l’actualité au sens Twitter, il y a un petit décalage avec le présent immédiat, en plus les articles au moment où on les distribue datent en général de quelques jours... Mais ça n’a aucune importance. L’actualité dans la minute, dans ce contexte, ça n’a pas de sens.

La séance commence par un compte rendu des lectures de la semaine en trois langues : en espagnol d’abord, trois quarts d’heure à peu près. Tout le monde en principe comprend l’espagnol, mais il y a des gens qui sont plus à l’aise en tsotsil ou en tseltal, alors il y a aussi des comptes rendus en tsotsil et en tseltal. Cela demande beaucoup de temps. Il faut beaucoup de patience. Ces conférences sont une vraie mise à l’épreuve de la patience pour un Occidental. Tout le monde écoute, écoute longtemps, et tout le monde parle, il n’y a pas de temps de parole, on laisse parler tous ceux qui veulent aussi longtemps qu’ils le veulent. Jamais on ne va couper la parole à quelqu’un. On le laisse parler, on le laisse aller au bout de ce qu’il a à dire. Et après, s’il y a lieu, on va formuler un autre point de vue en prenant autant de temps que nécessaire. Tous ceux qui parlent ne sont pas des habitués de la rhétorique, parfois il faut à quelqu’un très longtemps pour parvenir à exprimer ce qu’il veut dire. Tant pis, on ne s’énerve pas, on l’écoute. Ce respect de la parole est assez rare en Occident, je crois. Tu n’as pas besoin de savoir bien parler pour t’exprimer. Si tu as quelque chose à dire, tu le dis avec tes mots, tu cherches tes mots, on t’écoutera. Tout le monde écoute tout le monde, c’est un principe de base, c’est une sorte d’apprentissage de la parole en groupe...

Il y en a qui se taisent : il y a des étudiants qui ne disent rien. Mais tu as aussi des gens qui viennent ponctuellement, des gens de la ville, qui viennent avec leurs questions, leurs problèmes particuliers. Et comme c’est entièrement ouvert, tu as des gens qui ignorent ce qui s’est dit la fois précédente. Par exemple, il y a souvent des discussions autour de la question des terres : tu as beaucoup de gens, dans la périphérie de San Cristóbal qui se sont installés, ils ont construit sur des terres qui appartiennent officiellement à l’État. Ils fondent un quartier et puis au bout de quelques années la question de la propriété du sol se pose. En principe au Mexique, État ou gros propriétaire, si tu ne fais rien de tes terres pendant plusieurs années, elles peuvent passer aux mains de ceux qui les occupent et en font quelque chose. Mais cela donne lieu à des conflits. L’État joue de cela, sans forcément intervenir directement, il fait pression, il va faire des incursions au moment où on ne s’y attend pas, laisser planer la menace...

Ceux qui participent aux séminaires viennent d’horizons divers : des étudiants, des universitaires, des gens de différentes trajectoires politiques, anciens trotskistes, libertaires... Il y aussi des gens qui appartiennent ou ont appartenu aux structures de l’évêché. Parfois, il y a des nouveaux qui débarquent et qui t’expliquent ce qu’il faudrait faire comme si tu n’y avais jamais réfléchi... Ou quelqu’un qui se met à t’expliquer en long et en large quelque chose qui a déjà été discuté la semaine précédente où il n’était pas là. Tant pis, on écoute, on laisse parler. C’est la même chose dans les communautés. Toutes les décisions sont discutées autant que nécessaire, même s’il faut parler très longtemps. On ne prend la décision que quand tout le monde est d’accord. Et personne ne s’énerve. Je vois mal ce genre de chose ici en France. J’ai un ami qui ne supporte pas ! Il vient mais ça l’exaspère qu’on ne puisse pas se contredire, il ne supporte pas que les gens parlent sans limite de temps...

On est une quarantaine de personnes. Autour d’une grande table. Il y a le café, les petits pains, ça rentre, ça sort...

Un samedi matin par mois, c’est le second type de séminaire, on se réunit pour discuter autour d’un livre. Là on est moins nombreux, tous les étudiants ne sont pas présents. On choisit un livre et on l’étudie ensemble. Selon les mêmes principes de parole que ceux que je viens d’évoquer. Ces derniers temps on s’est penchés sur les écrits d’Ivan Illich. Avant, pendant trois ans, tous les samedis on a lu les livres d’Immanuel Wallerstein — sa critique du capitalisme mondialisé, la théorie des systèmes-monde — sa pensée compte beaucoup à l’Université de la Terre. Avec Ivan Illich, on est au cœur de la réflexion sur l’éducation. Illich a vécu au Mexique, son Centre pour la formation interculturelle (le Cidoc) était implanté à Cuernavaca. Dans les dernières rencontres internationales organisées par l’EZLN ou autour des anniversaires du 1erjanvier 1994, la pensée d’Illich a été assez présente. À plus forte raison depuis le rapprochement avec Javier Sicilia, le poète dont le fils a été assassiné en 2011 : les zapatistes ont organisé une grande mobilisation pour soutenir la Marche pour la paix qu’il a engagée pour dénoncer le crime organisé. Javier Sicilia est un disciple d’Ivan Illich.

Une des idées principales d’Illich en matière d’éducation et d’apprentissage, c’est d’en finir avec l’école-institution. Repenser la question de l’enseignement, de la transmission, en dehors du rapport d’autorité et de normalisation qu’instaure l’école comme institution qui s’arroge le monopole du savoir légitime. Illich dénonce aussi le caractère contre-productif de l’école (comme d’autres institutions : l’hôpital, les transports, etc.) qui en délégitimant de nombreux savoirs et de nombreuses pratiques, produit un mode de savoir et des pratiques standardisés, abstraits, coupés de la vie. Lorsqu’il parle d’une société sans école, ce n’est pas forcément qu’aurait été aboli tout lieu spécifique voué aux apprentissages, mais il conteste le fait de réduire à l’école le périmètre de l’apprentissage. Chacun doit pouvoir accéder aux connaissances dont il a le désir et tout le monde peut apprendre à tout le monde. Chacun sait des choses qu’il peut transmettre si on établit les conditions qui le permettent. On a beaucoup moins souvent qu’on ne le croit besoin de maîtres, on a besoin d’une pratique des savoirs, d’une circulation, d’un échange ininterrompu. Il s’agit de valoriser les apprentissages liés à l’expérience, à la vie réelle, l’auto-apprentissage, l’inter-apprentissage, non pas l’éducation a priori mais les apprentissages en fonction des besoins effectifs, des situations, etc. Illich prône la déspécialisation, il s’oppose à la délégation de l’enseignement à des spécialistes autorisés. Tout le monde sait, dit-il, et a des capacités à transmettre.

Reste que tout dépend de la question suivante : apprendre pour quoi ? Pour vivre dans quel monde, dans quelle réalité sociale ?

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Les écoles des communautés

Promotores, le mot n’est pas terrible en français où le promoteur évoque surtout l’immobilier ! Mais en espagnol, dans le contexte dont je parle, il faut l’entendre au sens premier : celui qui promeut, fait aller en avant, qui suscite l’élan...

Dans les communautés, ceux qui enseignent aux enfants dans les écoles primaires sont appelés promotores. Trois cents écoles primaires existent aujourd’hui dans la seule zone des Altos (Hautes Terres), l’une des cinq zones gouvernées par les autorités autonomes zapatistes. Les promotores ont été formés pour leur tâche mais ils ne sont pas payés. Ils ne gagnent pas d’argent, ils reçoivent seulement une aide en produits alimentaires de la communauté où ils enseignent ; ils continuent aussi à participer à la production agricole de leur famille, à la récolte du café, leur activité ne se limite pas à l’enseignement. Au moment de la récolte du café, l’école s’arrête, tout le monde s’y met, les enfants aussi. À la fois les promotores ont été formés pour faire l’école, mais ils participent aux autres activités quand c’est nécessaire.

Souvent ils manquent de pas mal de choses... ils n’ont pas forcément de quoi acheter le matériel scolaire ou les livres dont ils auraient besoin, et pas même de quoi s’acheter un nouveau pantalon ! De toute façon le principe c’est : on a une petite salle pour faire la classe, tant mieux, mais si on ne l’avait plus, on ferait la classe sous un arbre.

Au premier abord, l’organisation générale se présente un peu comme ici. C’est très structuré. Il y a six années. On acquiert des connaissances. Tu fais ton cursus. Là ils ont un peu calqué sur le système officiel. Ça ressemble à l’idée qu’on a de l’école. On peut se dire, c’est un peu dommage. Mais où ça change, c’est dans le statut même du promoteur et dans la manière de concevoir l’éducation — comment on apprend. Il n’y a pas de compétition, il n’y a pas d’échec ou de réussite. Tu as des savoirs à acquérir et on t’explique jusqu’à ce que ce soit acquis. Ceux qui ont compris plus vite aident les autres. Et on ne passe à autre chose que quand tout le monde a compris.

L’école n’est pas organisée de façon identique partout. Il y a cinq zones entre lesquelles se répartissent les communautés, et dans chaque zone, même si les principes généraux sont les mêmes, il y a des variations importantes.

Dans l’école secondaire, tout le monde est capable d’enseigner tout. La non-spécialisation, cela veut dire que les promotores doivent se débrouiller avec la situation telle qu’elle se présente. Quelqu’un commence à être bien formé dans une discipline, mais s’il y a un manque dans une autre discipline qu’il n’a pas encore enseignée il faut qu’il s’y mette : quelqu’un part et il faut tout réorganiser... Souvent, dans les communautés, les gens jeunes éprouvent le besoin de partir un an ou deux dans le nord du Mexique ou aux États-Unis, c’est un peu le voyage obligé : même si les conditions de vie sont très dures, les gens partent, puis en général reviennent dans la communauté. Si quelqu’un s’arrête, on prend son travail en charge. Même si a priori on ne sait pas faire ce qu’il faisait — on apprend, on trouve. Il faut faire avec ce qu’on a, apprendre sur le tas. Il faut se débrouiller. Ce n’est pas un principe, ce n’est pas systématique, mais quand il faut résoudre un problème d’organisation on change la répartition des rôles. Tu enseignais l’histoire, et tu vas faire les sciences naturelles...

Les élèves habitent sur place. Garçons et filles bien sûr. Qui va dans les élèves secondaires ? Ce sont les intéressés eux-mêmes qui décident, il n’y a pas l’idée de repérer les meilleurs ou ce genre de chose. On va à l’école secondaire si on a envie d’aller à l’école secondaire et de faire quelque chose d’utile pour la communauté, c’est tout.

Les matières, ce ne sont pas exactement des matières au sens où on l’entend ici, ce sont des aires de connaissances : communication et langages, mathématiques, sciences sociales, sciences de la vie, humanisme, production.

Comment former les formateurs ? Il ne s’agissait pas de passer par l’enseignement classique mexicain. Il a fallu tout faire. La mise au point a pris plusieurs années. Ça a donné lieu à des discussions interminables. Entre les gens des communautés, qui savaient ce qu’ils voulaient, et des invités extérieurs, des sympathisants zapatistes, des gens qui, soit avaient une pratique d’enseignement, soit avaient envie de réfléchir à cette question en étant déjà sensibles aux enjeux des communautés autonomes. Il n’en est pas sorti des manuels, mais des textes, oui.

Les savoirs sont vus dans la perspective zapatiste, forcément. Dans la perspective des gens qui luttent. Dans les communautés, comme à l’Université de la Terre, la conception de l’éducation est sous-tendue par un projet politique, qui met l’autonomie au cœur des enjeux. Les communautés, l’Université de la Terre, sont conçus comme des espaces autonomes et le but est que l’autonomie gagne du terrain.

Le risque d’endoctrinement, il n’est certainement pas plus grand que dans l’école des sociétés capitalistes ! Il faut faire attention, certainement, mais le danger d’endoctrinement est assez faible car les zapatistes n’ont jamais été partisans d’une ligne politique rigide, ils ne pratiquent guère ce qu’on appelait, en d’autres temps, le travail de « formation politique ». Il y a des convictions partagées — la volonté d’autonomie dans tous les domaines, le rejet du capitalisme, l’égalité, l’idée de prendre en compte la réflexion, le point de vue de chacun : les décisions de ne prennent jamais à la majorité, il n’y a pas de spécialiste de ceci ou cela qui aurait plus voix au chapitre que les autres, on discute jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord et on agit ensuite.

L’une des idées majeures dans l’enseignement des écoles, et ça vaut pour toutes les matières, c’est que pour aller vers le plus lointain, on part du plus proche. Et on s’appuie toujours sur du concret. En histoire par exemple, on va commencer par apprendre l’histoire de la communauté, puis celle du Chiapas, puis du Mexique, puis du monde... En science tu vas commencer par travailler à partir de ce que tu as autour de toi, tu observes, les plantes, les animaux qui sont là, en maths tu vas partir des problèmes à résoudre dans la vie quotidienne...

Partir de soi, partir du concret, rendre tout concret. Cela veut dire aussi une implication du corps, des gestes. Le mouvement plutôt que la quasi-immobilité où le maître est debout et parle à des élèves assis qui écoutent en silence. Je prends un exemple. Tu expliques la densité de la population. Tu dis « densité de population », pour la plupart des élèves cela n’évoque rien. Alors tu vas faire une démonstration, plutôt que de t’en tenir aux mots, tu te lèves, tu vas au milieu de la pièce, tu fais venir des élèves, tu les répartis dans l’espace pour illustrer ce que tu veux montrer — quinze personnes par ici, trois par là, trois autres... tu fais une petite mise en scène. Et tout le monde est dix fois plus impliqué.

Il y a aussi des livres, bien sûr. Chaque école a une bonne bibliothèque. Et pour celui qui veut approfondir une question, il y a les livres, il y a Internet...

Il ne faut pas oublier qu’en ce qui concerne les zapatistes, si les Accords de San Andrés sur les droits indigènes ont été signés par le gouvernement fédéral et l’EZLN, le gouvernement a ensuite refusé les modifications de la Constitution qui devaient en découler. On est dans une sorte de no man’s land, l’armée, ou les forces paramilitaires, ne sont jamais très loin, l’État trouve régulièrement des moyens, même sourds, pour inquiéter les gens dans les communautés. C’est une sorte de harcèlement lent, insidieux.

Il s’agit, à l’Université de la Terre, dans les écoles zapatistes, mais plus largement aussi, de créer des pratiques différentes, des relations différentes entre nous tous ; il s’agit bien d’un projet politique, en rupture avec les formes de vie et d’expérience propres au système institutionnel et à la société capitaliste. Un autre monde dans ce monde-ci, pas pour des lendemains qui chantent et déchantent, mais tout de suite, avec ce qu’on a à portée de main, avec les limites que cela suppose. Des énergies qui se mobilisent pour construire collectivement, sans trop savoir comment, sans plan global préalable, un flux. Le chemin n’est pas tracé, il faut l’inventer, pas après pas, sans certitude.

Cet article a été publié pour la première fois le 10 octobre 2012 dans « la voie du jaguar » : https://lavoiedujaguar.net/L-Universite-de-la-Terre-a-San-Cristobal-de-Las-Casas

Vers une société du partage des savoirs, de tous, par tous et pour tous

We are pleased to announce the launch of the 1st Congress of the International of Knowledge for All (IKA). This meeting will take place on Friday 22 and Saturday 23 November 2019, in Marseille (France). It is open to all, members or not of the IKA. You will find below the programme which indicates the spirit and content of these days. If you want to participate, please send an email to polpatricia97@gmail.com or pierre.bitoun@wanadoo.fr.
Nous avons la joie de vous annoncer la tenue du 1er congrès de l’Internationale des savoirs pour tous (IDST), qui aura lieu les vendredi 22 et samedi 23 novembre 2019, à Marseille (France). Il est ouvert à tous, membres ou non de l’IDST. Vous pourrez en lire ci-dessous le programme qui indique l’esprit et le contenu de ces journées. Si vous voulez y participer, merci d’envoyer un mail à polpatricia97@gmail.com ou pierre.bitoun@wanadoo.fr.
Nos complace anunciar la celebración del 1er Congreso de la Internacional del saber para Todos (IDST). Este encuentro tendrá lugar el viernes 22 y el sábado 23 de noviembre de 2019, en Marsella (Francia). Está abierto a todos, socios o no de IDST. Puede leer más abajo el programa que indica el espíritu y el contenido de estos días. Si desea participar, por favor envíe un correo electrónico a polpatricia97@gmail.com o pierre.bitoun@wanadoo.fr.
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Date : 22-23 November 2019
Location : Marseille, in La Marseillaise's offices
Public: IKA members and other students, education and HER staff, community, trade union and political activists, interested citizens...

In France, Europe and the world, the battles against neoliberal policies in Higher Education and Research (HER), and more broadly in Education, are multiplying. Both local and universal, varied but convergent, they demonstrate the rise of new worldviews and new power relations against the oligarchs of the all-market and they carry within them the construction of a knowledge society for all, post-capitalist and post-productivist.

Rather than repeating the umpteenth criticism of neoliberalism, the meeting will be resolutely turned towards the future, divided into three themes, each corresponding to a half-day of collective reflection:

  1. What is the future society of knowledge sharing, of all, by all and for all? What are its philosophical, political, social and moral foundations? Which thinkers, which historical experiences are we the heirs of and how can we make them contemporary? How do free and shared knowledge, within and outside the walls of existing institutions, form part of the individual and collective aspiration for a deep and all-embracing democratisation of pseudo-representative democracy, for overpassing capitalist and productivist society? (Friday 14h-18h)
  2. Where are we today with this future society? What does the rise of a citizen's intelligence tell us, in France, Europe or the world, whether it is reflected in political programmes, trade union or association projects, alternative local experiences? What conclusions can be drawn from this? What are the limits and benefits, the pitfalls and hopes? (Saturday 9am-12:30pm)
  3. How can we move forward, tomorrow, towards this society? How can we not stay in our own corner? What links should be built between all the actors in this knowledge-sharing society, whether they are local, regional, national or international links? What role can the very young IKA play in it, with many other groups? What ideas, what unifying actions should be implemented at the end of this meeting? (Saturday 14h-18h)

Logically, it will be left the largest part to exchange and debate: it will not be yet another conference, between oneself and too often encouraging your ego, but a meeting for collective thought and action together. Each half-day will therefore be opened with an introduction of 20-30 minutes maximum, intended to launch the discussion.

Date : 22-23 novembre 2019
Lieu : Marseille, salle dans les locaux de La Marseillaise
Public : membres de l’IDST et autres étudiants, personnels de l’Éducation et de l’ESR, militants associatifs, syndicaux et politiques, citoyens intéressés…

En France, en Europe ou dans le monde, les combats contre les politiques néolibérales dans l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR), et plus largement dans l’Education, se multiplient. Tout à la fois locaux et universels, variés mais convergents, ils manifestent la montée de nouvelles visions du monde et de nouveaux rapports de force contre les oligarques du tout-marché et ils portent en eux la construction d’une société du savoir pour tous, post-capitaliste et post-productiviste.

Plutôt que de répéter l’énième critique du néolibéralisme, la rencontre sera résolument tournée vers l’avenir, déclinée autour de trois thématiques correspondant chacune à une 1/2 journée de réflexion collective :

  1. Qu’est-ce que la future société du partage des savoirs, de tous, par tous et pour tous ? Quels en sont les fondements philosophiques, politiques, sociaux, moraux ? De quels penseurs, de quelles expériences historiques sommes-nous les héritiers et comment les rendre contemporains ? Comment les savoirs, libres et partagés dans et hors les murs des institutions existantes, font-ils partie de l’aspiration à une démocratisation profonde et tous azimuts de la démocratie pseudo-représentative, à un dépassement de la société capitaliste-productiviste ? (Vendredi 14h-18h)
  2. Où en est-on, aujourd’hui, de cette société à venir ? Que nous raconte, en France, en Europe ou dans le monde, la montée d’une intelligence citoyenne, qu’elle se manifeste dans les programmes politiques, les projets syndicaux ou associatifs, les expériences alternatives locales ? Quel bilan peut-on en tirer ? Quels en sont les limites et les bienfaits, les pièges et les espoirs ? (Samedi 9h-12h30)
  3. Comment avancer, demain, vers cette société ? Comment ne pas rester chacun dans son coin ? Quels liens construire entre tous les acteurs de cette société du partage des savoirs, qu’il s’agisse de liens locaux, régionaux, nationaux ou internationaux ? Quel rôle peut-y jouer la toute jeune IDST, avec bien d’autres collectifs ? Quelles idées, quelles actions fédératrices mettre en œuvre à l’issue de cette rencontre ? (Samedi 14h-18h)

Logiquement, il sera laissé la plus large part à l’échange et au débat : il ne s’agira pas d’un énième colloque, entre soi et favorisant trop souvent le tout à l’ego, mais d’une rencontre pour la pensée collective et l’agir ensemble. Chaque demi-journée sera donc ouverte par une introduction de 20-30 minutes maximum, destinée à lancer la discussion.

Fecha: 22-23 noviembre del 2019
Localización: Marsella (Francia), en las oficinas de La Marseillaise
Público: Socios de la IDST y otros estudiantes, personal educativo y de ESI, activistas comunitarios, sindicales y políticos, ciudadanos interesados...

En Francia, en Europa y en el mundo, las batallas contra las políticas neoliberales en materia de enseñanza superior e investigación (ESI), y más ampliamente en materia de educación, se multiplican. Tanto locales como universales, variadas pero convergentes, demuestran el surgimiento de nuevas visiones y relaciones de poder contra los oligarcas del todo-mercado y llevan en sí la construcción de una sociedad del conocimiento para todos, post-capitalista y post-productivista.

En lugar de repetir la enésima crítica al neoliberalismo, la reunión se orientará decididamente hacia el futuro, dividida en tres temas, cada uno de los cuales corresponde a una media jornada de reflexión colectiva:

  1. ¿Cuál es la futura sociedad del intercambio de los saberes, de todos, por todos y para todos? ¿Cuáles son sus fundamentos filosóficos, políticos, sociales y morales? ¿Qué pensadores, qué experiencias históricas somos herederos y cómo podemos hacerlas contemporáneas? ¿Cómo el conocimiento libre y compartido, dentro y fuera de los muros de las instituciones existentes, forma parte de la aspiración a una democratización profunda y global de la democracia pseudo-representativa, a la superación de la sociedad capitalista productivista? (viernes 14h-18h)
  2. ¿Dónde estamos hoy con esta sociedad futura? ¿Qué nos cuenta el aumento de la inteligencia ciudadana, en Francia, en Europa o en el mundo, que sea reflejada en programas políticos, proyectos sindicales o asociativos, experiencias locales alternativas? ¿Qué conclusiones se pueden sacar de esto? ¿Cuáles son los límites y beneficios, las trampas y las esperanzas? (sábado 9am-12 :30pm)
  3. ¿Cómo podemos avanzar mañana hacia esta sociedad? ¿Cómo podemos no quedarnos cada uno en su propio rincón? ¿Qué vínculos deben establecerse entre todos los actores de esta sociedad del conocimiento, ya sean locales, regionales, nacionales o internacionales? ¿Qué papel pueden desempeñar la muy joven IDST, con muchos otros grupos? ¿Qué ideas, qué acciones unificadoras se deberían implementar al final de esta reunión? (sábado 14h-18h)

Lógicamente, se dejará la mayor parte para el intercambio y el debate: no será otra conferencia más, entre uno mismo y con demasiada frecuencia promoviendo al ego, sino un encuentro para el pensamiento y la acción colectiva juntos. Por lo tanto, cada medio día se abrirá con una introducción de 20 a 30 minutos máximo, con el fin de iniciar el debate.